Les armoiries de la ville ASSOCIATION POUR L'HISTOIRE ET LE PATRIMOINE SEYNOIS


Editorial

Colloque 2000

Colloque 2001

Colloque sur les Technologies de la Mer

Colloque de Novembre 2002 : tous les textes (Format PDF)

Colloque 2004 : Programme

Echo des adhérents

Les armoiries de la ville H P S Textes du Colloque 2000

Conférence donnée aux Amis de la Seyne ancienne et moderne
le 9 octobre 2000.

Interdiction de reproduire ou d'utiliser sous quelque forme que ce soit ce document sans l'autorisation expresse de l'auteur : R.Merle, président de l'association 1851-2001

fonds de données de l'association 1851-2001
groupe scolaire Pasteur
7 bd des Tilleuls
04190 Les Mées

Mesdames, Messieurs,

Chers amis

Je remercie notre association de me donner l’occasion d’évoquer ici un événement dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas été mis à l’honneur par l’enseignement de l’histoire, de notre histoire, qui pourtant se réclame volontiers de l’éducation civique et citoyenne, je veux parler bien sûr de l’insurrection républicaine qui souleva une trentaine de départements en décembre 1851. Insurrection pour défendre une République qui venait d’être violée par celui même qui avait la charge de la protéger, le président de la République, Louis Napoléon Bonaparte.

Cette insurrection, je veux l’évoquer dans ses aspects varois bien sûr, puisque avec les Basses Alpes et la Drôme, le Var fut certainement le département où la résistance républicaine fut la plus massive et la plus déterminée.

Mais je veux l’évoquer aussi et surtout, bien sûr, dans ses aspects seynois, aspects qui n’ont jusqu’à présent fait l’objet d’aucune étude, et que seul notre regretté président Louis Baudoin a très rapidement évoqués dans son Histoire de la Seyne. Des aspects seynois dont les rues du centre ville portent la trace, sans que les nouvelles générations sachent qui étaient ces Hugues, Carvin, Rousset, Laurent, puisque les plaques ne spécifient pas qui ils furent, et ce qu’ils firent. Leur mémoire a survécu dans la tradition familiale, comme en attestent ici notre président, J.Besson, descendant de J.Rousset, et celle de M. Cotsis, descendant de J.Laurent.

Il n’est pas question ce soir de proposer un cours d’histoire sur la Monarchie de Juillet et la Seconde République, mais il me faut cependant situer la grande secousse de 1851 dans la brève histoire de cette Seconde République, qui naquit en février 1848 d’une révolution parisienne.

1848 - 1851, ce bref épisode républicain entre monarchie et empire est d’une certaine façon fondateur de notre république actuelle, puisque nous lui devons l’apparition du suffrage universel (masculin), l’apparition des formes modernes de la vie politique (presse, partis en structuration), et la mise en place d’une constitution dont celle de la Vème République s’est singulièrement inspirée.

La République avait donc satisfait la principale revendication populaire, le suffrage universel, Suffrage universel masculin seulement, car qui pensait à l’époque que les femmes puissent avoir le droit de vote...

Quel bouleversement que cette introduction du suffrage universel. Songez que la France n’avait que 240.000 électeurs en 1847 et que l’on passe à plus de 9 millions en 1848. C’était basculer d’une époque où les aspirations au changement se manifestaient dans le rapport de force, y compris la violence dans la rue, à une époque où ces aspirations devaient se manifester dans la libre décision des citoyens, pacifiquement et démocratiquement consultés. Les mentalités n’y étaient pas prêtes. On peut en juger par le dramatique épisode de juin 1848, où les revendications ouvrières brutalement repoussées s’exaspérèrent en insurrection, insurrection noyée dans un bain de sang à Paris, réprimée aussi à Marseille et bientôt à Lyon.

D’ailleurs la principale conquête de la République, ce suffrage universel masculin, allait bien vite se retourner contre la République.

Dans la plupart des régions de France, l’électorat populaire n’était pas éduqué, il était peu à même de saisir les données de la vie politique, il était enclin à suivre les conseils des notables. Et donc, dès les premières élections législatives, il fit confiance aux notables conservateurs. Puis, à l’élection présidentielle de décembre 1848, la première où un président était élu au suffrage universel, le peuple français vota massivement pour un aventurier politique, Louis Napoléon Bonaparte, qui avait le soutien du parti dit de l’Ordre.

La République était donc dirigée ce que nous appellerions aujourd’hui la droite conservatrice.

C’est alors que le jeune parti de la Démocratie socialiste, la Montagne, entreprit de gagner la conscience populaire, autour des grands idéaux de 1789, Liberté, Egalité, Fraternité, et autour d’un programme réaliste qui garantissait aux paysans, aux artisans, aux ouvriers, le droit à la propriété, à la sécurité, à l’instruction et au bien-être.

Le Var, et le Var rural en particulier, fut un des bastions de cette reconquête. Il faut dire que dès 1848 le Var s’était distingué en ce domaine. N’était-il pas un des quatre départements n’ayant pas placé Louis Napoléon en tête lors de l’élection présidentielle, en lui préférant le candidat républicain modéré Cavaignac ?

L’originalité de ce mouvement était dans sa composition sociale large et ouverte. Qui est gagné à la démocratie socialiste ? Les journaliers, ceux qui louaient leurs bras au jour le jour, et qui étaient si nombreux ici, les paysans propriétaires, mais aussi les artisans, mais aussi nombre de membres de ce que nous appellerions aujourd’hui les professions libérales : médecins, pharmaciens, notaires, avocats. Je prends un exemple, la petite localité de Collobrières, exemple qui par ricochet nous ramènera plus tard à La Seyne. Nous lisons dans les actes de la répression à propos du pharmacien de Collobrières :
"a été l’initiateur le plus actif de la société secrète et l’un de ses excitateurs les plus ardents au désordre, que c’est lui qui a proclamé la déchéance du maire".

Ce jeune pharmacien de 28 ans (il est né en 1823à Tourves), qui pour cela fut condamné à la déportation en Algérie, s’appelait Cyrus Hugues, et nous le retrouverons plus tard pharmacien à La Seyne, dans cette rue qui s’appelait alors rue de la Paix et qui s’appelle aujourd’hui bien sûr rue Cyrus Hugues.

Aux élections de 1849, dans une trentaine de départements, méridionaux pour la plupart, la majorité des électeurs ont rallié le camp de la démocratie socialiste, et ce malgré une très dure répression préfectorale et gouvernementale.

Désormais, dans cette dynamique, la victoire de la démocratie socialiste apparaissait possible aux élections législatives de 1852.

C’est pour empêcher cette victoire que le gouvernement fit bâillonner la presse, museler les chambrées et autres lieux de réunion, et surtout, en mai 50, réduisit considérablement le suffrage universel, dont furent exclus des millions de Français qui ne résidaient pas depuis trois ans dans la commune, ou qui étaient trop pauvres pour être inscrits sur le registre des contributions.

Dorénavant, il devenait extrêmement difficile de diffuser légalement les opinions de la démocratie socialiste, et les républicains les plus décidés en tirèrent la conclusion qu’il fallait s’organiser de façon clandestine afin de continuer la propagande, l’action, et de se préparer à riposter à un coup de force. La Montagne rouge tissa ainsi un véritable réseau de sociétés secrètes dans les localités varoise.

C’est pour empêcher cette progression de la démocratie socialiste, pour empêcher la possibilité de sa victoire aux législatives de 52 que le président prépara son coup d’Etat. Et c’était aussi bien entendu pour garder son pouvoir, puisque l’élection présidentielle aurait lieu en 52 et que le président sortant n’avait pas le droit de s’y présenter. Le coup d’Etat fut minutieusement préparé, avec la complicité des plus résolus généraux et officiers de l’armée d’Afrique, prêts à traiter toute résistance comme ils avaient traité les Algériens résistant à la conquête.

Le président pensait rallier l’opinion populaire et particulièrement ouvrière, déçue par le bilan de la République, il proposait le rétablissement du suffrage universel dans sa totalité, tout en garantissant aux éléments les plus conservateurs le maintien de l’ordre social.

Son calcul s’avéra exact dans la majorité des départements, mais, nous l’avons dit, une trentaine de départements se soulevèrent, et le Var fut un des bastions de cette résistance républicaine.

À l'annonce du coup d'Etat par lequel le président de la République, Louis Napoléon Bonaparte, s'emparait de tous les pouvoirs, dans le Var comme ailleurs, la totalité de l’appareil d’état, administratif, judiciaire, militaire, se mit au service de l'usurpateur. Par contre, la grande majorité des communes varoises se soulevèrent pour défendre la République, non pas vraiment la République conservatrice en place, mais la République démocratique et sociale dans laquelle paysans, artisans, et souvent notables, plaçaient leurs espoirs de progrès et de justice.

Le drame s’est joué en une semaine.

Le coup d’Etat a lieu le mardi 2 décembre.

La nouvelle arrive le 3 dans le Var.

Dès le 4, les républicains appliquent dans nombre de commune varoises les consignes depuis longtemps mises en place : si le pouvoir est usurpé à Paris, c’est dans la commune, lieu premier de la vie politique, que doit s’incarner la légitimité citoyenne. Dans sa remarquable thèse consacrée au Var de cette époque, notre compatriote Emilien Constant a montré l’importance majeure de cette donne communale.

Le 4 et le 5 les républicains affirment donc leur pouvoir dans un grand nombre de communes varoises. Par contre, leurs tentatives échouent dans la région toulonnaise, où la présence de l’armée est dissuasive.

Le 5 la résistance républicaine est brisée par la force à Toulon, Hyères, Cuers. Nous manquons encore d’une étude exhaustive sur les événements toulonnais. Par contre Charles Galfré a grandement creusé les tragiques événements cuersois, et Dominique Sampieri vient de publier un ouvrage dont je vous recommande la lecture, La Faux et le Fusil, sur les événements hyérois.

Le 6, les colonnes républicaines convergent sur Vidauban, 6 à 8000 hommes qui marchent par détachement communaux. Elles hésitent à investir Draguignan, où se font face républicains et partisans du coup d’état.

Le 8 elles sont à Salernes, puis le lendemain à Aups, où l'armée les rejoint le 10 et les écrase.

11-12 : Dans sa Proclamation, le préfet Pastoureau félicite l'armée et les bons citoyens du Var : "Le parti de l'anarchie et des brigands" est écrasé, l'autre triomphe, "celui des lois, du travail, de l'ordre, de la justice, de la paix, celui du pays honnête". On chasse l'insurgé dans tout le département. Le dernier contingent d'insurgés arrive à Riez (Basses Alpes) le 11 au matin, il continuera vers le Piémont et Nice, où se retrouveront des centaines de fugitifs varois.

"La démagogie est morte dans le Var, de longtemps elle ne relèvera la tête" ("Récit des événements, extrait des notes officielles", Le Toulonnais, 31-12-51).

Le Toulonnais se trompait grandement. La terrible répression qui s'ensuivit, loin de briser le sentiment républicain, contribua au contraire à l'enraciner.

De toutes ces péripéties, nous pourrons parler plus en détail dans la discussion si vous le souhaitez, mais nous allons maintenant reprendre le fil des événements à la lumière de la situation seynoise.

En 1848, quand naît la République, la Seyne a une population civile de 6500 h. Une petite ville donc selon nos critères de l’an 2000, en fait pour l’époque une ville déjà importante, moins que la voisine Toulon bien sûr, avec ses 45000 h, un peu moins que Draguignan et Hyères, le double des voisines Six Fours et Ollioules dont les quelque 3000 h sont dans la moyenne de beaucoup de localités varoises. La Seyne fait partie du canton d’Ollioules, où les Seynois doivent se rendre pour régler nombre de questions administratives.

La ville est en croissance lente, elle a gagné 1000 h en une vingtaine d’années, mais l’explosion démographique est encore à venir.

La ville est serrée dans ce que nous appelons aujourd’hui le centre : pour parler en noms actuels, qui ne sont pas bien sûr ceux de l’époque, le tissu bâti va du haut du Cours jusqu’au port, de l’actuelle poste à l’avenue Gambetta.

Au-delà s’étend un vaste terroir agricole, où beaucoup de Seynois de la ville possèdent leurs "campagnes", comme on disait.

La Seyne est déjà une ville ouvrière. Le juge de paix d’Ollioules écrit en 1851 que sa population est "composée en majeure partie d’ouvriers travaillant à l’arsenal de Toulon ou aux chantiers de bâtiments à voile et à vapeur de la localité". Une ville laborieuse, où la population majoritairement ouvrière et artisane côtoie une bourgeoisie enrichie par le commerce maritime, la construction navale, et qui fournit à la marine nationale nombre d’officiers, parfois de haut rang.

Dans ce paysage urbain, presque inchangé depuis le début du siècle, apparaissent en cette fin des années 40 des signes évidents de mutation et de modernité.

En 1845, les Taylor reprennent et développent le chantier naval Lombard et Mathieu.

Dès 1846 est construite la première cale en briques, et les Seynois assistent aux premiers lancements de navires en fer.

En 1846-47 la nouvelle Mairie est édifiée sur le port, bâtiment moderne qui remplace l’antique et exigu bâtiment du bas du marché.

En 1849, le paysage rural du haut du Cours est profondément modifié par la construction du pensionnat des frères Maristes.

Peut-être moins visible, mais tout aussi significatif, est ouvert en février 1846 un cabinet de lecture sis 13 rue du marché. C’est un lieu où, moyennant une modeste cotisation, l’on peut venir lire le journal, et le feuilleton, découvrir les dernières publications historiques et poétiques, et en discuter. Ce cabinet est fondé par l’horloger Carvin, un homme jeune, il est né en 1812. Autour de lui, quelques artisans de sa génération, Verlaque, Rousset, Martel, Autran, Jouglas, Argentery ... Le poste de secrétaire trésorier est confié à un retraité : Joseph Laville, maître en timonerie du port en retraite, ouvrier du port donc.

Le statut social de ces artisans autorise le vote aux élections municipales mais non aux législatives. Artisans dont les idées avancées ne sont pas pour plaire aux notables qui détiennent les charges municipales, et en particulier au maire, le docteur Jean Louis Martinenq, ancien chirurgien en chef de la marine. Ces notables sont en majorité acquis à la Monarchie de Juillet et parfois encore, dans la tradition de la Royale, ouvertement nostalgiques du drapeau blanc. Mais d’autres, parfois par tradition familiale, comme les Berny, sont républicains.

En février 1848, l’avènement de la République déstabilise ces notables, les effraye même. Et cet effroi est aussi celui d’une partie des générations populaires, les plus âgées. Le souvenir traumatisant du siège de Toulon en 1793 est encore très présent, avec ses drames, la forte émigration seynoise en particulier. Mais la jeunesse est toute acquise aux temps nouveaux. Le Juge de paix écrit de La Seyne en 1851 : "Dans cette localité, la jeunesse s’est fait remarquer par sa turbulence, son esprit d’indépendance et aussi, après 48, par l’exaltation de ses principes républicains".

Imaginons nous à l’angle du port, devant la mairie, en ce 2 mars 1848 où le maire doit officiellement proclamer la République. Le foule est massée devant le balcon où parle le docteur Martinenq :

"République, que ce mot ne vous effraie pas. La République est le gouvernement de la nation par la nation, du peuple par le peuple, il dépend donc de vous qui formez la nation, vous qui formez le peuple, que la république soit honorable et honorée, calme, puissante, durable et bienfaisante pour tous. Soyons amis de l’ordre et soumis aux lois, le meilleur des souverains".

Mais immédiatement après lui apparaît le jeune garde national Hippolyte Barralier, un agent d’affaire bien connu sur la place de Toulon, tant professionnellement que par ses opinions avancées, qui prononce un discours enflammé, discours acclamé par la jeunesse seynoise.

La municipalité s’auto-dissout, et une commission municipale provisoire prend sa place, dont la tâche sera de gérer la ville et de préparer les élections municipales. On peut penser à ce qui a suivi la Libération de 44 par exemple : la commission est un savoureux mélange de notables accrochés à leur poste, les moins marqués dans le soutien au régime déchu, de notbles républicains de la veille comme Berny, et de militants du cercle de lecture, comme Laville et bien sûr Carvin. Les salariés "manuels’’ apparaissent, avec par exemple le charpentier Sicard.

À partir de février 48 donc, avec l’instauration du suffrage universel masculin, La Seyne compte 2002 électeurs, dont 1660 électeurs municipaux, qui pour la première élection législative devront se rendre au chef-lieu de canton, Ollioules.

L’opinion locale est majoritairement républicaine, mais encore peu politisée en profondeur et mouvante.

La Seyne offre le visage d’une localité à l’éventail politique ouvert, marqué à gauche, avec un équilibre provisoire entre la gauche modérée et l’extrème-gauche.

Les élections municipales portent à la mairie un conseil panaché de républicains avancés, de républicains modérés et de modérés ralliés à la République du bout des lèvres. Laville, le gérant du cabinet de lecture, est premier adjoint, et représente l’aile gauche du républicanisme. Le nouveau maire, Jean Louis Berny, 59 ans, propriétaire, un républicain convaincu, qui dit dans son discours inaugural être républicain non seulement de la veille, mais républicain depuis l’enfance. Une enfance qu’il a effectivement vécue sous la première République. Mais Berny était déjà conseiller municipal dans la municipalité sortante.

À côté de cette municipalité gestionnaire s’affirme un foyer politique démocrate socialiste qui soutient la municipalité, mais aussi s’en distancie, et réciproquement. Son dirigeant Carvin était membre de la commission municipale provisoire, il est écarté du nouveau conseil municipal.

Dès l’été 48, et plus nettement encore à partir de 49, le pouvoir surveille et combat ceux qu’il appelle les Démagogues. On nomme dans le Var un préfet de combat, Haussmann. Dans ce climat pesant de délation et de poursuites judiciaires, la municipalité, tout en affichant ses couleurs républicaines avancées, réussit à éviter d'être cassé. Alors que des dizaines de conseils municipaux varois sont dissous par le préfet en 49 et 50, celui de la Seyne perdurera jusqu’au coup d’Etat. Par contre, c’est sur les militants républicains que s’abattra la répression.

Ces militants, ce sont d’abord les fidèles du cabinet de lecture, qui abrite le comité électoral démocratique, c’est-à-dire l’embryon de ce que nous appellerions aujourd’hui un parti politique. Sa première tâche a été de préparer les élections législatives de mai 49 qui, on l’a vu, vont affirmer au plan national la montée de la Démocratie socialiste.

Et c’est bien le cas aussi à La Seyne.

1206 votants

Suchet 753

De Clappiers 316

Un mois après une lettre-pétition de dénonciation, à l’orthographe maladroite, et prétendant parler au nom de 500 Seynois, parvient à la préfecture.

"Monsieur, les hommes de l’ordre de la ville de la Seyne ont l’honneur de vous prévenir que les sociétaires ou pour mieux dire les bonnets rouges de notre ville ont leur club rue du marché n°13 au premier étage, présidé par le citoyen Laville, adjoint de notre maire rouge, et Carvin Auguste boiteux, chargé par le comité secret de Toulon de convertir les soldats du Fort Napoléon, en les conduisant dans son club, et lui donnant des brochures et au magasin du citoyen Carvin, horloger. Ledit dit club, les murailles sont tapissées des portraits de Ledru-Rollin, Raspail, Barbès, Blanqui et tous les coquins de la Montagne, le maire et son conseil municipal délibèrent dans cette belle salle en portant des toasts à son bon ami Ledru-Rollin"

On pourrait sourire, mais dans le dossier d’archives cette lettre est jointe à la demande du procureur que, de sa belle écriture, le maire Berny transmet au commissaire de police. La lettre était du 26. Le cabinet de lecture, considéré comme lieu de réunion politique, est perquisitionné et fermé le 30. On saisit une liste de 127 noms, les adhérents du comité républicain socialiste de la commune de La Seyne.

Quels sont donc ces dangereux démagogues que le préfet veut réduire au silence ?

Auguste Carvin, d’abord, l’horloger de rue de la Paix, né à la Seyne en 1812 (37 ans donc en 49). Une fiche de police indique que Carvin "Est assurément un des démagogues les plus exaltés et les plus dangereux de l’arrondissement de Toulon. Il a fait depuis 1848 la propagande la plus active des doctrines socialistes et communistes. Partisan des principes de Barbès et dépositaire des écrits de ce dernier, il a cherché à les répandre avec la persévérance la plus coupable. La présence de cet individu à La Seyne a largement contribué à pervertir l’esprit public. Il a cherché à corrompre les militaires en leur distribuant les écrits anarchiques et de nature à les détourner de leur devoir militaire".

Voilà l’homme qui suborne la Seyne. Un homme en marge, infirme, célibataire, coupé des plaisirs de la convivialité ordinaire, pointé du doigt donc dans sa différence physique comme dans sa différence politique. On le piste. On sait qu’il est souvent à Toulon, au café des Mille Colonnes où avec Barralier il rencontre les chefs républicains du grand port.

Un voisin de Carvin, le menuisier Blain, est un homme d’Ordre, conservateur et admirateur de Louis Napoléon. Il joue à la perfection le rôle du délateur. Il déclare au commissaire de police : "cet homme, Carvin, fait de la propagande de toutes les manières et vis-à-vis de tout le monde, paysans, ouvriers, marins, charretiers soldats, il accostait chacun et cherchait à les mener à ses idées, il les faisait parfois entrer chez lui, ayant la plupart du temps la poche remplie de journaux appartenant à l’opinion socialiste, il les laissait tomber à terre en présence des militaires à qui il n’osait les remettre et les leur laissait ensuite".

Sont dénoncés aussi deux proches de Carvin, fondateurs du cercle littéraire, Jacques Laurent, 37 ans en 51, maître boulanger rue Miséricorde, (ainsi que son cadet Laurent Athanase, boulanger 31 ans) et Joseph Rousset, 49 ans en 51, maître boulanger rue du marché 2, cercle littéraire. Tous deux dans la tradition républicaine de la boulangerie.

Très dénoncés aussi comme responsables du comité de lecture politisé, Pierre Giraud, 29, potier, "exalté démagogue" et Sauveur Peter, 37 ans, charpentier, rue des Maures.

On retrouve aussi bien sûr Barralier, président du bureau, agent d’affaire 36 ans en 51

La fermeture du comité de lecture n’est pas respectée par Carvin, qui ne cesse de l’ouvrir en jouant à cache cache avec le commissaire. Mais la pesante surveillance du local renforce le rôle des autres lieux de sociabilité populaire.

Sont particulièrement dénoncés deux cabarets tenus par deux membres très actifs du cercle Carvin. L’un est tenu par Jean François Coste, scieur de long, dont le frère Prosper, scieur de long également, est aussi un militant actif. Les Coste sont liés au chef républicain toulonnais Ledeau. L’autre est tenu par Louis Bonnacorsi, riveur à l’arsenal. Délégué ouvrier en 48, en première ligne dans les manifestations (il a escaladé le balcon du sous-préfet) il a été licencié. Le commissaire signale que dans le cabaret de cet "enragé démagogue" "on chante des chansons très exaltées".

On se méfie aussi des instituteurs de l’école Martini, Berny, Castillon, Lyons, dont le commissaire relève les "tendances subversives", en ajoutant aimablement pour Lyons qu’il est un peu trop porté sur la boisson.

La situation ne cesse de se durcir avec la perspective des législatives partielles de mars 50.

Le Toulonnais, 3-1-50 "Il n’y a plus que deux camps aujourd’hui, celui des gens qui veulent posséder en sécurité ce qu’ils ont ou ce qu’ils auront un jour, et celui des misérables qui veulent le leur enlever, celui des gens honnêtes et celui des gens qui ne le sont pas ".

12-1-50, lettre pastorale de l’évêque de Fréjus, contre ceux qui "font appel à toutes les passions contre tous les devoirs" et qui entraînent la société dans un abîme.

Le 10 mars 50 , sur 2000 inscrits, seulement 907 votent.

  • Siméon 410
  • De Clappiers 409
  • Suchet 494
  • Clavier 495
Recul de la participation, recul de l’influence républicaine. La droite conservatrice gagne des voix, mais le recul de la gauche est aussi lié au fait que les ouvriers de l’arsenal ont été convoqués à part et devaient voter devant leurs chefs d’atelier (Le pouvoir espérait ainsi faire pression sur les plus craintifs, et de fait, si la gauche obtient 2090voix à l’arsenal contre 876 à la droite, il y a 2000 abstentions).

Avril 50, le Comité démocratique (Hippolyte Barallier, Carvin, Giraud, Laurent, Péter, Rousset) lance l’initiative d’une souscription pour le journal départemental, matraqué par les procès et les amendes, et envoie 1000 f au Démocrate du Var, somme importante, saluée comme il se doit (un abonnement annuel coûte 30 f). Ainsi est souligné le rôle majeur dans la conscientisation de la diffusion du journal.

En cette fin avril, le comité reçoit C.Dupont, dirigeant départemental et chroniqueur provençal bien connu du Démocrate sous le pseudonyme de Cascayoun. Le Seyne est la seule ville dont il parle en provençal. Dupont, qui réserve ordinairement sa chronique provençale aux agriculteurs, marque ainsi, dans cette zone toulonnaise dont le peuplement est ouvert aux quatre horizons de la France, l’enracinement local, endogène, de la démocratie seynoise.

21-4-50

"Ben de gramacis eis demoucratos de la Seyne, per l’accuilh fraterneou qu’aï agu l’hounour de reçubre d’elei dimenche passa. Mi souvendrai toujous, emé bounahur, d’aquelo hurouso journado ! Ren li manquavo : soureou d’abriou, ventour perfuma, couars republicain, bounao taouro, descento de gavaï, cansouns patrioutiquo & graciousita dé frumos, & dé damisellos". (Traduction)

Malgré sa modération, le maire Berny est menacé de révocation par le préfet : à la fête patronale du 7-7-50 on l’accuse d’avoir privilégiés les falots rouges. Le commissaire de police mis en place par la municipalité républicaine, en 48, doit démissionner, il est remplacé par un homme tout acquis au pouvoir préfectoral.

Le 18-7-50, on reproche à Berny d’avoir laissé les jeunes Seynois entonner à la fin des festivités les couplets de Pierre Dupont : "Les peuples sont pour nous des frères, et les tyrans des ennemis".

En novembre à nouveau on parle de révocation de Berny

Ainsi se passera l’année 50, et l’année 51, dans l’attente des élections de 52 dont les démocrates espèrent qu’elles leur seront favorables.

La nouvelle du coup d’état arrive à Toulon le 3 au soir.

Le 4, les républicains se réunissent à nouveau le soir au Champ de Bataille. Les nouvelles sont contradictoires, le matin on croit que coup d’état a échoué, le soir non. À La Seyne, les démocrates constituent un comité de résistance, dirigé par Carvin, Rousset, Laurent, une délégation, conduite par Laville, premier adjoint, et Bonnacorsi, se rend chez le maire afin d’obtenir communication des dépêches de Paris. Le Maire est en position d’attente. Laville dénonce publiquement les dépêches comme ignobles. Le président n’avait pas le droit de lancer un pareil décret, dit Laville, au grand scandale du commissaire de police. Au plan politique, Laville n’est sans doute pas un foudre de guerre. Alors que tous ses compagnons sont dénoncés comme "démagogues dangereux" ou "très dangereux", la notice qui accompagne son arrestation indique seulement : "vieillard plus inepte que méchant". Mais on comprend que, tout flanqué qu’il soit de Bonacorsi le cabaretier agitateur, Laville représente aux yeux des démocrates la légalité, puisqu’il est premier adjoint, et sa présence symbolise la légitimité du refus républicain.

Le commissaire de police signale au procureur que le 4 la nouvelle de la dissolution de l’A.N " a causé une vive impression sur l’esprit des démagogues", nombreux groupes formés sur promenades publiques, mais "petits à la vérité". Le soir, à leur arrivée par bateau, les ouvriers de l’arsenal ont chanté la Marseillaise. Carvin "l’un des plus exaspérés démagogues de cette ville" est allé les haranguer, les a invités à la société littéraire dont il est président "disant qu’il fallait s’entendre sur ce qu’il y aurait à faire dans cette circonstance". Grande affluence le soir vers 7 h à cette société. Petits groupes stationnent jusque vers 11 h. Police leur demande de rentrer chez eux.

Le 5 Carvin s’est rendu à Toulon, sans doute pour se renseigner et informer, dit ne pas savoir ce qui a été décidé. De fait les républicains de Toulon sont toujours dans l’indécision, et cette indécision leur sera fatale, ils sont arrêtés en masse dans la nuit du 5 au 6.

Le 6 décembre, l’état de siège est appliqué à Toulon, les chambrées sont fermées.

Apparemment la Seyne est calme. Mais comme l’écrira le Juge de paix, "ce parti (le parti républicain) n’a pas levé ouvertement l’étendard de la révolte, mais il a agi dans l’ombre".

En effet, alors que tout semble perdu, le comité démocratique lance une initiative presque désespérée au soir de ce samedi 6 décembre. Samedi, soir de repos avant la trêve du dimanche. Que l’on imagine cette nuit du samedi au dimanche. La ville est noire et froide. La jeunesse plébéienne ne dort pas : en cette approche de Noël, on joue des victuailles dans toutes les chambrées de la ville, et elles sont nombreuses (Beaussier, Calade, Prieurs, Abonnés, Senes, Prosper...)

C’est là que les émissaires du comité vont recruter pour un rassemblement à Brégaillon, à minuit, rassemblement qui doit se poursuivre par la prise de la mairie.

Tous les Seynois qui seront arrêtés après cette nuit seront inculpés comme "faisant partie d’une association secrète ayant pour but de renverser le gouvernement actuel et de s’emparer de l’hôtel de ville dans la nuit du 6 au 7 décembre".

En fait que s’est-il passé cette nuit ? Le rassemblement de Brégaillon a bien eu lieu, il a été présidé par Carvin et sa garde militante rapprochée, et il a mobilisé : le juge de paix parle de 150 à 200 et le commissaire de 200 à 300 démagogues rassemblés à Brégaillon après minuit, dans la nuit du 6 au 7.

Mais rien n’a suivi.

Faut-il mettre au compte de l’intercession divine l’échec des démocrates ? Pour faire face à la menace rouge, aux cris hostiles qui leur parviennent de l’extérieur, les pères maristes ont organisé une procession aux flambeaux dans cette nuit, à l’intérieur de l’établissement. Ils estiment qu’elle a été dissuasive.

De son côté le commissaire de police est persuadé que sa présence a suffi à tenir en échec les insurgés : il a campé toute la nuit dans la mairie, toutes fenêtres éclairées, en compagnie du garde champêtre, du garde de la marine et d’un agent.

Mais on se doute que c’est plutôt l’annonce de la défaite de Toulon qui a découragé les insurgés de mettre leur plan à exécution. Le signal de la lutte n’est pas venu et les émissaires du Pont du Las ont annoncé les arrestations en masse.

Le lendemain, dimanche 7, le comité se dissout, Laville brûle les registres du club dans le four du boulanger Rousset. Le commissaire reçoit un renfort de gendarmerie et procède d’office à l’arrestation des meneurs depuis longtemps repérés, Carvin en tête, les deux cabaretiers également, Coste et Bonacorsi, qui ont entraîné leurs clients au rassemblement de Brégaillon. Mais les deux maîtres boulangers, Laurent et Rousset, ont disparu, ainsi que le charpentier Peter. Il s’agit là de pures et simples arrestations pour délit d’opinion. On décapite le club. On arrête les membres de la commission provisoire "rouge" de mars 48, comme le charpentier Antoine Sicard, "démagogue exalté". Les motifs de l’accusation viendront après.

Reste donc à tirer les fils du complot de Brégaillon. Il est tout à fait intéressant de voir comment le tissu local, dans son omerta, protège les siens. Qui étaient les mutins de Brégaillon ? Personne ne le sait. Le commissaire aligne les noms de suspects possibles, pointe sur les mutualistes : on inquiète Auguste Silvy, propagandiste incendiaire, on inquiète le maître tailleur de pierre Degrange, président de la société de secours mutuel St Joseph, dont le fils était à Beaussier. Mais on ne peut rien prouver.

Le fil est tiré par la dénonciation d’un nommé Hugues, tuilier, un Toulonnais qui a passé la soirée à la chambrée de Beaussier, où on jouait des jambons. Vers minuit sont arrivés deux jeunes charpentiers de l’arsenal, Auguste Daniel, et Célestin Tizot. Daniel déclare : "citoyens je vais parler à tous les citoyens, à 2 h il faut que nous nous rendions maîtres de la commune. J’ai du monde, nous sommes entendus avec le Pont du las, si vous avez des armes apportez les, je vais z-allier, au premier coup de fusil de Toulon nous partirons". Il dit avoir parcouru toutes les chambrées et prevenu tous les sociétaires. Daniel est suivi par Joseph Décugis, calfat perceur à l’arsenal, et par Pierre Ettore, ouvrier boulanger, Toussaint Reynaud vannier, François Maquan maçon.

Les interrogatoires nous permettent de jeter un regard sociologique sur la chambrée de Beaussier : une trentaine d’hommes : vannier, tailleur de pierre, charpentier, calfat, maçon, scieur de long, tuilier, chaudronnier ...

Le commissaire ne peut rien tirer de tous ses interrogatoires. Silence sur le front des chambrées. On n’y a rien vu, rien entendu, rien fait. Il faut enfin le témoignage d’un père inquiet, le charpentier Besson, qui amène son fils de 18 ans, charpentier lui aussi, à déclarer qu’a la chambrée de la Calade, il a vu le jeune Daniel, très échauffé, venir appeler au rassemblement, mais qu’en ce qu’il le concerne, prétextant un besoin naturel, il est sorti pour rentrer chez lui et ne se mêler de rien...

Donc pour nous résumer, dans le mois qui suit le coup d’état, le commissaire interroge des dizaines de personnes, il fait arrêter et conduire à Toulon trente trois "démagogues exaltés", soit parce qu’ils étaient responsables du Club, soit parce qu’ils ont été dénoncés comme racoleurs de manifestants.

Une colonne de 20 gendarmes bat la campagne de Six Fours et La Seyne, pour essayer de mettre la main sur les fugitifs. Ainsi on perquisitionne la campagne de Gabriel Besson, désignée comme le refuge de son neveu Laurent, et comme le dépôt de poudre des insurgés. On n’y trouve rien ni personne.

Ce n’est qu’à la fin du mois que, plus ou moins rassurés, et aussi aux abois, ceux-ci se risquent à se cacher dans leur domicile ou leur propriété de campagne, déjà visités évidemment. Dans la nuit, Rousset est arrêté dans le pigeonnier, Coste sur son toit, délogé sabre en main dit fièrement le rapport, car cet individu est très dangereux, comme Peter, cerné chez lui. Par contre la vaillante cohorte de l’Ordre ne peut saisir Laurent, qui saute du premier étage dans un jardin voisin et fuit nouveau.

Le 16-12-51, "considérant que l’administration municipale de la Seyne a, par sa faiblesse, laissé se développer dans cette commune un foyer de démagogie de nature à compromettre l’ordre et les intérêts publics de cette localité", et l’arrestation de l’adjoint Laville, "sous l’influence duquel l’administration municipale a compromis sa dignité", le sous-préfet institue une commission municipale provisoire formée de 4 officiers en retraite, propriétaires, un maître cordier, un constructeur de navires.

Barry, lieutenant de vaisseau en retraite, conseiller général, est ensuite nommé maire.

Le 3-1-52, il adresse au président "son adhésion à l’acte énergique par lequel vous avez préservé la France de l’anarchie qui s’apprêtait à la plonger dans l’abyme". Le 11.1, il organise un te deum dans l’église paroissiale, et 700 personnes, selon le complaisant Toulonnais, défilent ensuite jusqu’à la mairie derrière les bannières de la société Saint Roch et de la société Saint Joseph. Du balcon de la mairie, Barry s’écrie: "Vive le Président de la République !" (et non "Vive la République"). Il ajoute "Vive le Sauveur de la France", formule qui me rappelle, comme à un certain nombre de présents, la chanson que nous devions chanter dans la cour de l’école en saluant les couleurs...

Barry saluera Napoléon en septembre, quand le prince président visitera Toulon et La Seyne.

Mais sans musique : avec la répression, la Seynoise est en sommeil.

Sont condamnés à la déportation en Algérie Barralier, Bonacorsi, "très dangereux, propos violents dans sa prison", Carvin très dangereux, énergumène, influent sur le peuple, Coste JF, Coste Prosper, Daniel, Décugis, Ettore, Giraud, Laurent, Peter, Tizot.

Les autres sont internés, ou mis en surveillance.

Quelques réflexions sur cette première apparition de la conscience politique de gauche républicaine à La Seyne.

Le militantisme est endogène et non exogène. Tous les militants cités sont nés à La Seyne, sauf Ettore, né à Bastia, et Barallier, Bonacorsi, Laville nés à Toulon.

Alors qu’à Toulon beaucoup d’inculpés ne sont pas nés à Toulon et viennent des quatre coins de France.

Nous avons à la Seyne un cercle d’artisans jeunes adultes, amateurs de lectures et de discussions, ouverts à tout ce qui a pu se publier en matière historique et politique sous la monarchie de Juillet. On ne s’étonnera pas du poids des boulangers, vivier traditionnel de républicanisme.

Ce cercle a un relais plus plébéien avec les ouvriers- artisans cabaretiers, du même âge ou à peine plus jeunes : J.F.Coste a 33 ans, son frère 29. Bonacorsi a 35 ans. Il s’agit de métiers de force : métiers traditionnels du bois avec les Coste, scieurs de long ; métier du fer avec Bonacorsi le riveur : métier nouveau certes, mais sans véritable qualification technique.

La jeune garde plébéienne, bien plus jeune, a pour fers de lance des ouvriers de l’arsenal, eux aussi recrutés dans les métiers traditionnels de la marine en bois. Les charpentiers Tizot et Daniel ont 24 ans. le perceur calfat Décugis a 30 ans. L’ouvrier boulanger Ettore 28 ans.

Quid des ouvriers de la modernité, ceux du chantier naval Taylor ? Aucun n’est inculpé, et semble-t-il aucun même n’est interrogé. Blain le corbeau parle bien d’un ouvrier de Taylor qui recrutait à la chambrée rue des prieurs pour un mouvement qui devait se faire dans la nuit, et il avait repéré deux individus "paraissant appartenir à la classe ouvrière" sur le chemin de Toulon le 6, puis vus ensuite chez Carvin.

En fait le personnel "exogène" de Taylor, la matrice du prolétariat moderne, n’apparaît pas vraiment.

Tout cela constitue une phalange convaincue qui arrive à mobiliser : 127 inscrits au cercle démocratique socialiste en 49, une phalange qui ne se laissera pas abattre par les menaces : les interrogatoires le montrent. Un seul interrogé, Moquant, tuilier de 23 ans, dit avoir agi par force " si je n’allais pas avec les autres je serais le premier trouca" lui a dit le vannier Reynaud.

Cette phalange républicaine ne se laisse pas totalement abattre par la défaite. Au plébiscite de décembre 52, on compte 975 oui, mais aussi127 non. Pourcentage remarquable dans le climat national et départemental de répression.

Les suites ?

Beaucoup de déportés sont graciés en fin 52 et 53. Ils reviennent à La Seyne où ils sont étroitement surveillés. Mais Décugis le calfat s’est enfui et meurt en Turquie. On n’a pas d’indulgence pour Carvin qui reste en Algérie jusqu’en juillet 55. Il obtient une permission pour raison de santé et de famille, repasse à La Seyne et disparaît : les maires du Var reçoivent son signalement : il est recherché pour avoir "quitté furtivement cette localité après la notification à lui faite de retourner en Algérie à l’expiration d’un congé de convalescence qui lui avait été accordé". Il fuit à Nice, sera gracié en 56, revient s’installer à La Seyne, horloger à nouveau, il meurt en 69, toujours célibataire.

Mais la ville qu’il a retrouvée n’est plus la même. La population a doublé. Les familles italiennes attirées par le développement des FCM s’entassent autour de la place de la Lune, et du foyer d’infection du Gros Vallat. Dans l’été 65, le choléra éclate, et Joseph Rousset meurt victime de son dévouement. Aux élections municipales apparaît Cyrus Hugues, lui aussi ancien déporté en Algérie, qui tient la pharmacie de la rue de la Paix et devient la tête de la faction républicaine locale, où Laurent est toujours présent. Tous deux seront évidemment membres de la commission municipale installée dès la chute de l’Empire, le 4 septembre, commission qui baptise aussitôt boulevard du 4 septembre le boulevard Fleury, boulevard résidentiel qui venait de marquer la rupture avec l’habitat urbain traditionnel.

Lorsque en 82 la République se décidera à honorer les victimes de la répression de 51, en attribuant une pension aux survivants ou à leur famille, ce sont les enfants de Décugis, Laville, Rousset qui touchent la pension de 82.
Pierre Daniel, 54 ans, est toujours ouvrier charpentier
Pierre Giraud, 59 ans, fabrique toujours des poteries
Célestin Tizot, 53 ans, toujours ouvrier charpentier
Le scieur de long Coste Jean-François, 63 ans, est devenu cantonnier de la mairie républicaine.
Jacques Laurent toujours boulanger, 68 ans.

Le nom de plusieurs d’entre eux sera donné à des rues du centre ville (*), et, dans le virus ancestral des divisions de la gauche seynoise, avant comme après la guerre de 14, divisions qui feront à plusieurs reprises le jeu de la droite nationaliste ou de l’opportunisme gestionnaire "non politique", ils symboliseront aux yeux des plus anciens, bien souvent affrontés, une sorte d’Acadie républicaine, une Arcadie où les républicains avancés étaient unis, désintéressés, indifférents aux profils de carrière et aux compromissions.

Nota : 1) Les noms propres de Bonacorsi et Tizot sont écrits avec diverses orthographes selon les greffiers, nous avons harmonisé sur une seule graphie.

2) Traduction : "Bien des mercis (grand merci) aux démocrates de la Seyne, pour l¹accueil fraternel que j¹ai eu l¹honneur de recevoir d¹eux dimanche passé. Je me souviendrai toujours, avec bonheur, de cette heureuse journée ! Rien n¹y manquait : soleil d¹avril, doux vent parfumé, c¦urs républicains, bonnetable, excellent appétit, chansons patriotiques et gracieuseté des dames et des demoiselles".(Dupont n'éprouvant pas le besoin de traduire à des lecteurs dont la plupart parlent provençal, il notait le provençal selon la prononciation locale et les normes graphiques du temps)

(Note du Ouebbe Mestre ) Sur les noms de rue de La Seyne, ne ratez pas le site : http://cyril.castelbou.free.fr/la_seyne/noms_rues.htm

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