M. Marius
AUTRAN nous parle de son livre:
" Images de la vie seynoise d’antan "
(récits, portraits, souvenirs.)
Tome 7. L'entretien a été sollicité et préparé par Marie Claude Argiolas, et
le document vidéo a été réalisé par René Reverdito.
Marie Claude ARGIOLAS: " Bonjour M. AUTRAN et merci d’avoir
accepté de répondre à quelques questions à propos de votre dernier ouvrage.
M. AUTRAN: Alors, quelle est la première ?
M-C A.: Vous avez intitulé cet ouvrage " récits, portraits et
souvenirs ", et le premier chapitre a pour thème " la vie seynoise
quand ce siècle avait dix ans ".
Monsieur AUTRAN, vous êtes né un 2 décembre, ce qui est déjà un petit clin
d’œil à l’Histoire..., le 2 décembre 1910...
M. AUTRAN: Exactement...
M-C A.: Pourriez-vous nous raconter ce qu’était La Seyne et la vie des
seynois à cette époque ?
M. AUTRAN: D’accord. Mais vous me demandez un exercice difficile parce que La
Seyne d’aujourd’hui n’a absolument aucune ressemblance avec celle de l’époque
que vous venez d’évoquer, sauf toutefois le centre ville. C’est tout.
Il faut commencer, je crois, par vous parler des limites géographiques. Quand
vous alliez en direction des Sablettes, quand vous arriviez à la Poste, dites
vous qu’après la Poste c’était la campagne. La rue qui est parallèle à la Poste
sur le derrière, c’est la rue Philippine Daumas. On avait quand même quelque chose de bien, c’est qu’il n’y avait pas de
chômeurs. Il y avait l’entreprise des " Forges et Chantiers de la
Méditerranée " qui avait été fondée en 1856 et qui entretenait une activité
intense. On construisait des bateaux depuis assez longtemps d’ailleurs, et des
bateaux de qualité. Alors c’est un phénomène qui aurait du s’accentuer mais
malheureusement la guerre est venue.
Pour en rester à la période de 1910, on avait beaucoup de main d’œuvre
italienne. Les problèmes de l’immigration s’étaient déjà posés vers la fin du
19ème siècle, et on avait dans les " Forges et Chantiers " au moins
40% du personnel qui était d’origine italienne. Il n’y avait presque pas d’école, c’est à dire il y avait un enseignement
privé puissant puisque les Maristes existaient, l’externat Saint Joseph pas loin
de là existait aussi, il y avait l’école Sainte Thérèse. Il n’y avait pour
l’enseignement public que la seule école Martini pour les garçons, une petite
école rue Clément Daniel pour les filles qui avait été installée dans l’ancien
hôpital. On appelait cela l’Hôtel-Dieu. Si vous voulez passer à une autre question, je vous écoute.
M-C A.: Comme vous venez de le souligner, les quartiers de notre ville ont
subi bien des transformations. Vous insistez beaucoup sur l’histoire de la
Chaulane qui est devenu la ZUP de Berthe. Quelles réflexions vous inspirent ces
changements et quels moments de votre action municipale vous reviennent alors en
mémoire?
M. AUTRAN: L’histoire de la Chaulane me réjouit et m’attriste à la fois. Je
vais vous expliquer pourquoi. La Chaulane c’est le nom d’un immense domaine qui
a existé dans ce que l’on appelait au Moyen âge la grande terre de Saint Jean,
c’est à dire une terre immense qui dépendait de l’abbaye de Saint Victor et
Six-Fours, et qui s’étendait depuis Les Playes jusqu’à Brégaillon. Cela
représente 30 ou 40 hectares environ. Et bien ça remonte à loin. La première chose que je dois dire, c’est que
c’est le lendemain de la guerre qui nous a d’abord préoccupé. Je vous ai parlé
du docteur Sauvet avec lequel j’ai travaillé, puis Toussaint Merle. La Seyne
était dans une situation lamentable. Le dimanche, nous partions avec pelles et
pioches pour aller déblayer des quartiers en ruines, enlever des tas d’ordures;
on faisait des tas de choses et à titre bénévole bien entendu. C’est une
situation qui a duré des années. M-C A.: Vous vous attardez sur l’année 1910 qui est comme on l’a vu l’année
de votre naissance. Retiendriez-vous une autre date importante, une date
charnière pour notre ville dans le siècle qui vient de s’écouler?
M. AUTRAN: Et bien oui, il y en a une d’importante, de très importante, et
qui n’est pas des plus heureuses à évoquer. C’est naturellement la disparition
de nos chantiers navals. Cela fera partie de l’histoire douloureuse de La Seyne.
Parce que La Seyne a connu des années dramatiques dans le passé, elle a connu
les épidémies de choléra, ou de peste même, les guerres mondiales, mais là c’est
un véritable séisme économique qu’elle a supporté. M-C A.: Merci, M. AUTRAN d’avoir fait vivre pour nous tous ces moments, tous
ces souvenirs. Une dernière question, peut-être indiscrète: y a-t-il un tome 8
en préparation?
M. AUTRAN: Oui,il y a effectivement un autre livre en préparation. Je ne me
tiens pas pour battu bien que je sois né en 1910.
H P S Textes du Colloque 2000
C’est là que je suis né et je
suis né dans la campagne. Du côté opposé, c’est à dire du côté de Toulon, quand
vous arriviez à la Bourse du travail, parce que la Bourse du travail avait été
construite en 1905, et en 1910 elle était donc en pleine activité, mais dès que
vous l’aviez dépassé, vous étiez dans les arbres fruitiers, les artichauts,
c’était la campagne.
Même chose du côté du boulevard du 4 septembre: le
boulevard existait mais n’avait pas percé en direction de Six-Fours par le
boulevard de Stalingrad. C’était fermé. Toute la partie agglomérée était là, et
tout le reste c’était la campagne. Alors, la campagne à ce moment là, c’était
des centaines de familles de cultivateurs qui produisaient de tout, c’est à dire
des fruits, des légumes, des olives, qui faisaient de l’élevage, etc... Et là on
peut dire que c’est un changement complet puisque les familles de cultivateurs
aujourd’hui à La Seyne se comptent sur les doigts des mains.
Vous voyez l’importance que cela
pouvait avoir. Cela n’arrangeait rien sur le plan social, car ces pauvres gens
étaient logés dans des taudis, enfin bref, je passe là dessus...Ils avaient été
victimes des épidémies car ils étaient logés dans les environs des Mouïssèques
dans des conditions épouvantables, mais c’est un aspect que je ne veux pas
développer.
Quand je dis que la vie était totalement différente , dites-vous
ceci, c’est qu’on pouvait produire de tout à La Seyne, la pêche était
fructueuse, la campagne aussi et l’industrie aussi. Tout marchait et il n’y
avait pas de chômage. Ce qui ne veut pas dire que le travail était forcément
simplifié: on n’avait pas encore l’usage de l’électricité. Je faisais mes
devoirs à côté de la lampe à pétrole. On n’avait aucun engin mécanique. Mon
grand-père avait un jardin important, il le travaillait à la bêche, on ne savait
pas ce que c’était qu’un motoculteur, on ne savait pas ce que c’était que les
pompes à eau, on arrosait avec la noria autour de laquelle le petit âne tournait
pendant des heures pour avoir un petit peu d’eau dans une rigole. On n’avait pas
de moteur, de pompe non plus, nos ménagères ne disposaient pas de four, pas
question de machine à laver la vaisselle bien entendu, on en était encore très
loin, les ménagères partaient laver leur linge dans les lavoirs publics
jusqu’aux Moulières à plusieurs kilomètres de La Seyne. Alors je veux dire par
là que les conditions de la vie matérielle n’étaient pas faciles.
On se
chauffait mal, et il fallait quand même travailler. Pour se chauffer,
j’ajouterai en passant que nos mères et nos grands-mères s’en allaient à la
forêt de Janas chercher des pommes de pin, du bois
Et puis deux petites écoles maternelles,
une aux Sablettes, et une à Jean Jaurès. Et la première école primaire après
Martini, c’était François Durand qui s’appelle aujourd’hui l’école Emile
Malsert. Donc les problèmes scolaires avaient été difficiles à régler. L’année
1910 a ceci de particulier : c’est à peine si la laïcisation s’est terminée
cette année là. Et pourtant les lois sur l’école publique existaient depuis
1881, 1882 et 1886.
Autre aspect très négatif, il faut le dire, c’était le
manque d’hygiène à La Seyne. Elle manquait d’eau, il n’y avait pas
d’assainissement, et tous les matins il y avait des véhicules malodorants qui
circulaient en ville pour ramasser les vidanges. C’est une image de marque qui
est restée longtemps puisque ce n’est qu’en 1952 qu’on a commencé à utiliser
l’émissaire commun. Dans les aspects de la ville il y avait donc du positif et
du négatif. La santé publique n’était pas bonne, les maladies faisaient encore
pas mal de ravages.
On mourrait couramment de la tuberculose à l’époque, les
enfants de la méningite. Des fièvres typhoïdes, il y en avait tant et plus parce
qu’on manquait d’hygiène justement. Et la vie associative, j’en terminerai par
là, était réduite à pas grand chose. D’abord, il n’y avait pas de structures
officielles. Il faut dire que le ministère de la culture et des
arts
On
avait quelques petites associations sportives qui débutaient à peine, sans
moyens d’ailleurs, comme l’Olympique Seynois, les boulomanes, etc...La Seyne
s’éveillait un peu à ces choses là, au domaine culturel. Il y avait beaucoup de
choses à faire qui viendraient par la suite, mais qui ont été retardées par la
guerre. Car la guerre n’arrange jamais rien, ça freine tout.
On peut considérer
que La Seyne dans les années 1910 prenait son essor. Elle avait 20.000
habitants, et après la guerre il y en aura 25.000. Il n’y en avait que 20.000,
mais par rapport au siècle précédent c’était un progrès car La Seyne pendant
longtemps avait stagné.
L’explication est simple: il y avait une industrie qui
marchait, un commerce, et une agriculture florissante. Voilà, je dresse là un
tableau rapide.
C’est une terre qui pendant des siècles a
été cultivée par des moines, et par des gens du pays à l’époque où la classe
paysanne était représentée par des serfs. Tout cela a évolué avec le temps. Puis
cette terre de Saint Jean s’est morcelée, et il y a eu une quantité de petits
propriétaires, mais aussi des grands qui cultivaient des terres extrêmement
fertiles. Cela a duré jusqu’à la dernière guerre.
On a parlé longtemps et on a
beaucoup écrit là-dessus car La Seyne a été sinistrée très gravement en 1944 par
suite d’un bombardement américain féroce; il est tombé sur la ville 700 bombes,
dont 4 seulement sur l’objectif qui étaient les Forges et Chantiers. Le reste,
c’est la population civile qui l’a pris...Je ne rentre pas dans les détails...Je
pourrais citer les milliers de maisons détruites, les centaines de morts,
...Mais après ce désastre, il est évident qu’on a eu des milliers de sinistrés.
La municipalité après guerre a au moins déblayé les ruines, municipalité
présidée alors par le docteur Sauvet. Quand les travaux les plus urgents ont été
effectués, il fallait remettre de l’eau, les canalisations étaient crevées, il
fallait refaire le téléphone. Il fallait penser à reloger les gens, et le
problème s’est plus particulièrement posé à la municipalité de Toussaint Merle à
partir de 1947. Et après avoir beaucoup discuté avec les élus, la
population,etc...on avait fini par conclure qu’il fallait construire.
Evidemment, on ne pouvait pas se contenter de réparer des ruines. Il fallait
construire, car la population de La Seyne avait augmenté avec la prospérité des
Chantiers navals avant la guerre. Mais construire où? Cela a fait l’objet de
nombreuses discussions et finalement on s’est tourné vers la ZUP, vers la
campagne, car il n’y avait que des terrains en culture et quelques fermes
isolées. La municipalité avait lancé la Zone Urbaine Prioritaire.
Il a fallu
procéder à des expropriations toujours douloureuses; mais on a quand même eu les
aides particulières de propriétaires qui ont volontiers vendu à la ville pour
faire cette zone de constructions.
Le propriétaire le plus important était celui
de La Chaulane, et c’était, à ce moment là, M. Elie Zunino, qui avait accepté de
tout vendre. Cela a accéléré le début des opérations. Alors, on a construit,
d’abord des petites habitations, puis des grandes, puis des tours. Vous voyez ce
que cela a donné. Quand je disais que ça m’attristait un peu, ça dépannait des
gens, bien sur. Ils se sont retrouvés dans des appartements neufs, mais au bout
de quelques années, on a trop construit.
Je le pensais déjà à l’époque, et c’est
si vrai que maintenant il faut démolir. On a démoli 2 tours, et il est question
d’en démolir 2 ou 3 autres. Enfin, ça c’est un autre aspect. Je ne veux pas
chipoter avec les histoires des urbanistes, c’est pas mon fort. Mais de toute
manière, on peut constater que dans cette masse d’immeubles il y a 15.000
habitants c’est à dire le quart de la population seynoise actuelle. Et il s’est
créé cette zone, peuplée de façon tout à fait hasardeuse.Il a fallu dans un
premier temps reloger les Seynois, puis reloger aussi à partir de 1960 ceux que
l’on appelait les pieds-noirs, c’est à dire les rapatriés d’Algérie, la ville
ayant été tenue de construire une tranche de 100 logements exprès pour eux.
On
les a logés. Mais ils n’étaient pas contents quand même, car ils étaient mieux
là-bas qu’ici. Je le dis sans malice, je le dis parce que je l’ai entendu. Et
puis il y a eu les changements de municipalité, je ne veux dire du mal de
personne, mais on a emmené une clientèle un peu spéciale qui venait des bas
quartiers de Toulon dans un but électoraliste bien affirmé; et les immigrés
nord-africains et africains, une main d’œuvre précieuse, sont arrivés, et on a
fourré tout ça là dedans, dans un ordre je ne dirais pas quelconque, car il y a
des aspects qui m’obligent à penser que cela a été un peu calculé.
Je veux en
venir au fait que cette zone particulièrement peuplée et surpeuplée, rappelle un
peu l’existence des ghettos et ce n’est pas un hasard si la vie y est parfois
dangereuse. Je ne vais pas vous raconter tous les incidents qui peuvent se
produire parfois, avec une jeunesse dévoyée qui va plus ou moins à l’école, qui
se livre à toutes sortes d’actes de vandalisme répréhensibles, la police
craignant même quelquefois d’y aller pour remettre de l’ordre. Il y a là dedans
une ambiance qui n’est pas agréable. Il y a des gens qui s’efforcent de
concilier les points de vue, etc...
Mais enfin, la vie familiale a des aspects
souvent négatifs, le chômage s’est installé dans la ville, ça ne crée pas des
mentalités bien heureuses. Alors, c’est une zone un peu à part: la ZUP, c’est
une zone qui ne vit pas la vie seynoise, il y a une mentalité différente dans
ces coins là. Je ne suis pas là pour donner des conseils, mais les gens qui
s’occupent de ça et s’en occuperont, ont beaucoup de mal à le faire. Voilà
pourquoi je vous disais tout à l’heure que c’est réconfortant parce qu’on y a
fait beaucoup de choses utiles.
Il a fallu faire des structures sociales,
mairie, services sociaux, culturels, crèches, etc... Mais ça n’a pas suffit à
amener une bonne mentalité générale dans la population, alors qu’autrefois il y
avait une certaine convivialité qu’on ne retrouve pas là. Je ne veux pas en dire
plus, il y aurait beaucoup de choses à dire encore mais j’enchaîne avec la
question suivante: vous m’avez demandé quel moment de votre action municipale
vous revient en mémoire. C’est bien ça?
A partir du moment où on a recommencé à trouver
des structures normales, ce qui a le plus marqué ma vie seynoise c’est à partir
de 1959 quand on a retrouvé un hôtel de ville. L’hôtel de ville c’est le cœur,
c’est de là que partent les instructions, c’est là qu’on se retrouve pour les
festivités,etc...
C’est à partir de là. En 1960, l’hôtel de ville offrait sa
grande salle des fêtes. Je suis obligé de dire en passant que les adversaires de
la municipalité de l’époque portaient des jugements pour le moins néfastes, en
disant que M. Merle dilapidait l’argent public en faveur d’un bâtiment aussi
énorme, que ce n’était pas la peine d’avoir une tour comme ça pour abriter les
services municipaux.
C’était un petit raisonnement car 3 ou 4 ans après, il a
fallu construire une deuxième mairie, celle qui se trouve au quartier Peyron, là
où il y avait l’ancien abattoir, la mairie technique, et 2 ou 3 ans après on a
construit une troisième mairie: c’est la mairie sociale qui se trouve rue Renan
et c’est aussi un bâtiment important. Quand on a eu ces structures, tout le
monde a été enthousiaste.
On allait à l’hôtel de ville voir les expositions,
écouter des concerts etc... Les employés travaillaient mieux, parce que pendant
15 ans qu’on avait attendu l’hôtel de ville, les employés travaillaient dans des
ruines, ou presque, rue Messine par exemple. Tout cela a créé une mentalité
toute nouvelle, un enthousiasme.
C’est donc à partir de 1959 que les choses ont
démarré et pendant les 15 ou 20 années qui ont suivi, toutes les structures
nécessaires à la ville ont été apportées, je dis bien toutes. Au point de vue
scolaire, j’ai publié dans le tome 6 une chronologie, et on lira que c’est dans
cette période que l’on construit le stade Maurice Baquet, les terrains de sport
à Renan, à Berthe, aux Sablettes.
On a équipé toutes les écoles en structures
sportives et culturelles, on a crée des centres culturels à Tamaris, à Jacques
Laurent, dans la cité Berthe. On a fait tout ce qu’on pouvait faire d’utile, les
logements n’en parlons pas puisqu’on avait crée l’Office Municipal d’HLM qui est
à la tête aujourd’hui de plus de 5000 logements,ce qui n’est pas peu. Dans le
domaine des Arts, l’Office Municipal de la Culture et des Arts, l’Ecole
Municipale de Musique dont je suis en train de raconter l’histoire parce que
j’ai toutes les archives, des structures qui ont apporté à la ville énormément,
des emplois, on a formé des centaines de musiciens, etc... Vous verrez cela si
je réussis à terminer ce livre, et cela a duré 35 ans. C’est dans cette période
que La Seyne telle qu’elle apparaît aujourd’hui s’est construite.
C’est dans
cette période. Je ne dis pas que depuis on n’a rien fait, mais enfin l’essentiel
des structures administratives,culturelles, sportives, sociales, c’est dans
cette période que ça été fait.
Après, on a fait une petite école de quartier à
droite à gauche, etc... Je le dis d’autant plus volontiers que j’y ai quand même
participé pendant 30 ans.
Parce que quelques années
auparavant les chantiers construisaient de tout. J’ai toujours était plein
d’admiration pour les techniciens, ingénieurs et ouvriers bien sur qui ont
participé à l’œuvre monumentale que les chantiers ont réalisée. Les
Je n’entre pas dans les détails de tout ce qui a été fait en
dehors de la construction navale elle-même. Car quand les chantiers éprouvaient
des difficultés, parce que dans la construction navale il y a eu aussi des hauts
et des bas, des périodes de récession en fonction des conflits économiques,
etc... les chantiers ont toujours su se reconvertir pour faire quelque chose.
Pendant les guerres, on y a fabriqué des canons, on y a fabriqué des chars
d’assaut, chose qui à l’origine n’était pas prévue, à la place des bateaux on a
fait tout cela.
Quand ensuite la crise de la construction navale a commencé, les
chantiers se sont mis à fabriquer des plates-formes de forage pour aller
chercher du pétrole, des métros pour Moscou, Mexico ou ailleurs, enfin j’en
passe. Nos ingénieurs ont vraiment eu du génie, il ne faut pas hésiter sur les
mots, et personnellement je regrette infiniment, pour ma ville de La Seyne, pour
la classe ouvrière seynoise, et pour la France aussi, que cette industrie de la
construction navale se résume aujourd’hui à un chantier, ou deux, et pas un seul
chantier de construction navale sur la Méditerranée. Alors que nous cherchons à
renouer des liens avec l’Afrique du Nord, etc... Je ne veux pas aborder ici de
sujet politique, ce n’est pas mon but, mais il faut regretter infiniment tout ce
qui est arrivé. Parce que depuis, La Seyne a des millions de chômeurs.
On a
réussi à en reclasser pas mal, d’autres sont partis en préretraite, on a essayé
de limiter un peu la casse, il n’en reste pas moins que c’est une opération qui
a coûté très cher aux gens et aussi à la ville. Parce qu’autrefois les
Forges et Chantiers étaient considérés
comme la plus grosse industrie de la commune. Elle payait évidemment des impôts
et c’est autant de centaines de millions qui ont disparu du budget communal.
Vous voyez l’effet désastreux que cela a produit sur l’économie locale. Et c’est
un problème si grave que même aujourd’hui, alors que cela fait tout de même 15
ans que les chantiers ont disparu, La Seyne n’est pas encore relevée de ses
ruines, de cette crise économique
. Faut-il en déduire que tout est fini, que
tout est perdu? Je ne voudrais pas terminer sur une note triste.
Quand les
chantiers ont fermé, on en a quand même sauvé une partie. Il y avait eu des
transformations. Les Forges et Chantiers en 1966 avait été sauvé de justesse par
les syndicats, la municipalité, marche sur Paris, etc... Une autre société avait
pris le relais, les CNIM, Construction Navale et Industrielle de la
Méditerranée.
Cela existe encore, installé sur le territoire de Brégaillon, là
où il y avait un hippodrome, entre Lagoubran et Brégaillon. Il y a quand même là
des hectares qui ont appartenu à une famille seynoise, la famille des Estienne
d’Orves, un résistant qui a été fusillé. Et bien dans ce secteur des CNIM, on
travaille bien. On y fait même des choses assez rares, on y fabrique des engins
pour les sous-marins atomiques que nous avons pas loin, en espérant qu’on ne
s’en servira jamais bien sur. C’est une industrie mais qui fonctionne à part.
Moi, j’aurais préféré qu’elle puisse continuer à fonctionner sur les Chantiers
même, sur ce terrain qu’on a appelé Marépolis, qui est triste à voir il faut
dire la vérité.
Je ne veux pas augurer de ce qui va advenir de ce paysage. En
tout cas, je ne souhaite pas qu’on y construise des logements comme la cité
Berthe. Je dis ça en passant sans projeter de raisonnement sur les aspects
politiques du problème que sont en train de mijoter tous les candidats pour les
élections municipales prochaines. Donc je n’en parlerai pas.
La date importante,
donc, à mon avis, c’est cela. C’est dans l’histoire de La Seyne 1986, enfin
1986-88, la disparition d’une industrie qui a été dans le passé une des plus
florissante du monde.
Parce que si vous n’avez pas lu l’histoire des Forges et
Chantiers ( j’ai consacré un livre à ce sujet, rien que sur les Chantiers), on y
a fait des bateaux pour le Japon, pour le Chili, pour la Chine, la Turquie, la
Grèce, pour le monde entier. Il faut croire que ces constructions avaient donné
des satisfactions. Les Forges et Chantiers avaient une réputation, avec une
annexe qui existait aussi au Havre.
Je terminerai là dessus quand je parle de la
qualité de la construction navale: en 1904, la Russie entre en guerre contre le
Japon. Les russes déplacent une flotte qui part de la Baltique, qui va
contourner le cap de Bonne Espérance au sud de l’Afrique, rejoindre la Chine
pour aller à Port-Arthur, au nord de la Chine où les attendent les japonais qui
n’avaient pas fait autant de trajet bien entendu.
Je vous dis ça parce qu’il y a
eu une bataille navale importante: à peu prés tous les bateaux russes ont été
coulés par les japonais, sauf ceux qui avaient été construits aux Chantiers de
La Seyne. Il faut le dire.
Pourquoi? Parce qu’il y a eu à la fin du 19ème siècle
un directeur des Chantiers particulièrement compétent, M. Lagane, dont une des
rues de La Seyne porte le nom. On avait imaginé de ceinturer la coque des
bateaux de ce que l’on appelait des plaques de blindage épaisses, et que les
torpilles ne réussissaient pas à traverser. Quand la bataille a été terminée,
les japonais ont reconnu eux-mêmes que ces bateaux là, qui étaient de
fabrication française, étaient seynois. Ce sera ma conclusion.
Toujours à peu prés dans le
même style, " Récits, Portraits, Souvenirs ", je trouve toujours des
sujets. J’en ai quand même traité une cinquantaine jusqu’à présent, mais enfin
j’en trouve d’autres.
Je ne vais pas vous dévoiler tout le contenu de l’ouvrage,
mais enfin j’ai trouvé intéressant de me pencher sur l’origine des quartiers de
La Seyne, dont certains ont des noms un peu curieux, mais enfin je ne veux pas
développer.
Et puis, j’ai imaginé aussi d’écrire des biographies de
personnalités célèbres, disons honorables, du 20ème siècle écoulé. Personnalités
du monde artistique, politiques aussi, sans tendance. Tout ça écrit en toute
objectivité. Des biographies, des événements aussi.
Il y a des structures
sociales à La Seyne qui méritent une attention spéciale. Par exemple, l’histoire
de l’École Municipale de Musique dirigée pendant 35 ans par M. Arèse. Une œuvre
importante, ce qui ne veut pas dire qu’il a rompu avec la musique. Quand on a ce
virus, on l’a jusqu’à la mort.
Il y a d’autres choses bien sur que je ne peux
pas vous dévoiler entièrement, parce qu’il y a des choix que je n’ai pas encore
fait. Il y a toujours quelque chose à raconter. Je le fais toujours aussi
simplement, je n’ai pas la prétention d’être un écrivain, ni même un historien.
Je travaille avec le minimum d’instruction que j’ai reçu à l’école Martini, un
peu aussi à l’Ecole Normale bien sur, en compagnie de mon vieil ami Toussaint
Merle qui m’a quitté depuis longtemps.
Voilà, je vais essayer de mener cette
dernière tâche à son terme.