ASSOCIATION POUR L'HISTOIRE ET LE PATRIMOINE SEYNOIS
H P S Echo des adherents
Mireille Bailet, 24/09/03
Un petit coup d'œil sur
les Archives de la Communauté de La Seyne au XVIIe siècle :
l'eau
En parcourant les comptes-rendus des délibérations de la Communauté de La Seyne
(le plus ancien registre dont dispose le Service des Archives de la Ville, à
la Villa Tamaris, contient les délibérations de 1670 à 1673 et de fin 1680 à début 1688),
on s'aperçoit que la ville de La Seyne, construite à l'emplacement d'un marécage saumâtre,
s'est trouvée à ses débuts confrontée à de gros problèmes d'approvisionnement en eau douce.
Certes, au moment des pluies, on avait parfois trop d'eau !
Ainsi il est noté le
19 octobre 1681 :
"Il y a divers particuliers qui portent plainte que le vallon du
quartier de Berte (sic) à divers endroits n'a pas la largueur qu'il doit avoir et qu'il
a été occupé par ceux qui ont des propriétés qui y aboutissent (…) les eaux pluviales
venant à déborder à cause que n'ont pas le libre cours, causant divers dommages ainsi
aux propriétés voisines. "
Le Conseil déclare alors qu'il est nécessaire
" pour ledit
vallon d'avoir sa largeur convenable, et d'obliger les particuliers qui l'ont occupé
de 'rabiller' et réparer. "
Preuve que les constructions en zone inondable ne datent
pas d'aujourd'hui … et aussi que le quartier de Berthe était à l'époque moins plat
qu'il ne l'est maintenant, encore qu'une autre délibération fasse allusion au " peu
de pente qu'il y a " entre la source de Berthe et la ville (25 octobre 1682).
Mais en été, durant les périodes de sécheresse, la ville manque d'eau potable.
Les fontaines et puits existant dans les divers hameaux qui constituent la Communauté
sont en mauvais état : de nombreuses délibérations parlent du problème de leur entretien
et des réparations à envisager.
- " faire 'rabiller' les fontaines pour la conduite des eaux attendu qu'elles se perdent
et en cas qu'il se présente quelqu'un qui voulût prendre le soin de l'entretien
desdites fontaines tant pour les 'gourneaux' (= canalisations) que autrement,
donnent pourvoir aux dits sieurs Consuls de mettre ledit entretien à l'enchère " (15 août 1670)
- " que la fontaine qui est au-devant de l'église est rompue, qu'il est nécessaire
de la réparer, tant le bassin que les conduits " (01 août 1671)
- " que le puits de Tortel qui appartient à la Communauté étant en très mauvais état
et qu'il est nécessaire de le faire 'rabiller' " (28 février 1672)
- " aussi lui ont donné pouvoir de faire réparer la fontaine du Courton (sic)
puisqu'elle est rompue " (6 mars 1672)
- " qu'il serait aussi nécessaire, attendu la grande sécheresse et que les
fontaines ont tari, de pourvoir à la nécessité des habitants pour avoir de l'eau "
et " traiter avec des maîtres fontaniers , soit pour la fontaine devant l'église,
et autres si la nécessité le requiert, comme encore de faire creuser le puits de Tortel "
(01 août 1672).
Lors des délibérations où le trésorier présente ses comptes, on peut avoir parfois une
idée des sommes engagées : ainsi, le 2 juillet 1673, le conseil ratifie
les dépenses suivantes :
- " mandat de quatre livres seize sous, payé à Nicolas Bues pour travail à la
fontaine Saint-François, du 11 décembre "
- " parcelle et mandat de vingt-six livres six sous, payé à Claude Augarde pour
le radoub de la fontaine du Courton, dudit jour (= 13 juin) "
- " parcelle et mandat de quatre livres dix sous, payé à Claude Augarde pour
le 'rabillage' de la fontaine Saint-François, dudit jour (= 23 juin) "
- " parcelle et mandat de onze livres treize sous six deniers, payé audit Augarde pour
le 'rabillage' de la Bette (sic) dudit jour (=23 juin) "
Mais en général le motif des paiements n'est pas indiqué, les comptes ne faisant
apparaître que la somme, le nom du bénéficiaire, et la date ; on ne peut donc
calculer ce qui a été payé en totalité sur ces fontaines. On peut tout juste
remarquer que celle de Saint-François semble poser de gros problèmes puisqu'elle a
subi deux fois des travaux à six mois d'intervalle.
Après le hiatus de sept ans pour lesquels les délibérations de la Communauté
ne nous sont pas parvenues, la situation ne s'est pas améliorée :
- " par la grande disette que le lieu a des eaux pour boire et pour la subsistance
de tous les habitants, étant la fontaine presque tarie, et celle du puits
fort manque " (26 juillet 1682)
- " on a porté plainte que le puits de la Communauté qui est au quartier du Manteau
n'y ayant que fort peu d'eau… " (26 juillet 1682)
- " feront réparer (…)la voûte de la mère de la fontaine de l'église "(24 août 1682)
- " il n'y a personne au Conseil qui ignore que ce lieu ne soit dans une grande disette
de l'eau, n'y ayant aucun puits dont l'eau soit bonne à boire, n'y ayant que deux
fontaines, une desquelles qui est celle de l'église ayant entièrement tari,
et celle de Saint-François si basse, qui ne peut fournir en aucune manière à
la nécessité du lieu " (30 août 1682).
La suite de cette délibération évoque un autre problème : celui des navires qui
abordent au port de La Seyne.
Il viennent se ravitailler, et
en particulier en eau douce :
" et ce qui est encore de pis, c'est que
les bâtiments de mer qui abordent en ce port ne trouvent pas de quoi avoir
d'eau ".
Le Conseil considère ce problème comme " encore pis ", encore plus
grave que la pénurie d'eau pour la subsistance des habitants, car c'est l'économie
de la ville qui est en jeu : si les navires ne trouvent pas le ravitaillement
souhaité à La Seyne, ils iront aborder ailleurs ; or la concurrence est très
âpre à cette époque-là avec le port de Toulon, qui fait procès sur procès
pour empêcher celui de La Seyne de se développer.
La ville ne peut se permettre de perdre la clientèle de ces navires, et les
taxes qu'ils lui rapportent…
Devant cette situation devenue intenable, il s'avère nécessaire de faire de
grands travaux, sur les fontaines existantes d'une part :
" il a été reconnu que la fontaine de l'église ne peut pas rejaillir à son
bassin à cause que le 'bornelage' depuis ledit bassin jusques au premier 'regonfle'
a été mal fait, ne pouvant à présent rejaillir que audit 'regonfle' ; ont donné pouvoir
aux dits sieurs Consuls de faire refaire tout ledit 'bornelage' et y employer si besoin
est les 'gourneaux' que la Communauté a présentement " (23 mai 1683),
et d'autre part en recherchant d'autres sources dans les environs.
Dès 1673, on évoque cette possibilité : " au quartier de Peyron dit le Figuier, il y a
d'eau pour faire venir au grand chemin près le moulin " (8 janvier 1673) ;
le conseil décide de
" prendre un maître fontanier et faire voir ladite eau
'auparavant faire' (= avant de faire) aucune dépense. "
Mais plus rien à ce sujet n'étant mentionné par la suite, le projet a dû être abandonné.
En 1682, l'idée de trouver de l'eau ailleurs est reprise :
" il y a des personnes
fort capables pour la recherche des eaux (…) délibérer sur ce que doivent mettre en
état pour la recherche de quelques sources et sur les travaux (…) travailler à
la faire conduire dans l'enclos et aux endroits qu'ils jugeront le plus convenable "
(26 juillet 1682).
Lorsqu'à l'été 1682, la " disette d'eau " menace
l'économie même de la ville, on s'attelle sérieusement à cette tâche :
la longue délibération du 30 août 1682 déclare :
" ce qui a obligé les sieurs Consuls, à l'exemple de diverses autres communautés de
cette province, de faire la recherche de quelques sources pour en porter les eaux
en ce lieu ; ayant trouvé au quartier de Berte (sic) une source qui donne quantité
d'eau et de la grosseur d'un écu blanc, requérant le Conseil y délibérer. "
Le Conseil délibère et donne pouvoir aux Consuls de
" faire conduire ladite source
du quartier de Berte dans l'enclos de ce lieu, avec le
plus grand ménage que faire se pourra de l'avis des gens entendant la conduite des eaux,
et qui la soutiendront dans son élévation le mieux qui se pourra, pour être jetée à
une ou plusieurs fontaines aux lieux les plus convenables que lesdits Consuls jugeront. "
La première difficulté, c'est l'argent. Il va falloir emprunter, et pour cela
il faut l'autorisation de l'Intendant de la Province :
" à la charge que tant la conduite que les bassins des fontaines seront donnés
à prix fait, et d'autant que la Communauté n'a pas de fonds en main pour la dépense
qu'il conviendra faire audit ouvrage ; lesdits Consuls faisant donner requête
à Monseigneur de Morant, Intendant de Justice en cette Province, aux fins
qu'il soit son bon plaisir de permettre à la Communauté d'emprunter de qui trouvera,
jusques à la concurrence de ce que se montera la dépense de la conduite desdites fontaines,
et que pourront payer et acquitter au moyen des impositions et épargnes que
à la suite pourront être faites. ".r>
A noter qu'un des membres qui signe cette délibération " Beaussier syndic "
précise qu'il ne consent que si la somme totale ne dépasse pas 2000 livres.
Ce " syndic " représente en fait les " forains ", mot qui signifie alors " personnes
qui sont propriétaires de terrains ou maisons à La Seyne, mais habitent ailleurs ",
(à Six-Fours et à Toulon). Ces gens se sentent donc beaucoup moins concernés par
les problèmes purement seynois, et ils sont souvent en conflit avec le reste du Conseil.
A la suite de ces décisions, le 25 octobre 1682, le conseil déclare :
" en conséquence de la dernière délibération faite par le Conseil, à raison de la
fontaine qui doit être faite audit La Seyne de la source qui a été trouvée au quartier
de Berte, ils (= les Consuls) ont fait toutes les diligences possibles pour trouver
des habiles gens pour bien faire la conduite de ladite fontaine, ayant pour cet
effet pris toutes les informations nécessaires et fait procéder à des enchères,
sur lesquelles a été fait d'offres… "
Au cours de ces enchères, il se passe quelque chose d'assez curieux : comme la ville
estime qu'il lui faut un bon maître d'œuvre, elle va choisir quelqu'un d'Aix, parce
qu'il a de bonnes références, sans attendre quelqu'un qui proposerait un meilleur
prix. Tout ceci est expliqué de façon extrêmement précise, comme si le ville voulait
se justifier…
" …offres, la plus avantageuse desquelles est de cinquante sols pour 'canne', qui a
été faite par le sieur Gillet de la ville d'Aix, aux formes portées par les articles
qui ont été dressés ; et parce que ledit Gillet est tout à fait capable à sa vacation,
pour tel est reconnu tant par la conduite des sources des fontaines qu'il a faites au
jardin de feu Monseigneur le cardinal de Vendôme, celles nouvellement faites aux lieux
d'Aubagne et du Beausset, que divers autres beaux ouvrages qu'il a faits,
et qu'il pourrait survenir quelqu'un de moins capable que ledit Gillet
qui pourrait 'surdire' (= surenchérir) et que par quelque défectuosité
de son ouvrage pourrait porter un très grand préjudice à la Communauté, requiert le
Conseil de délibérer si le prix fait doit être donné audit Gillet sur le pied de son
offre.
" Lequel Conseil, tout d'une même voix et opinion, considérant les grands frais
et dépens que les fontaines mal conduites obligent de faire pour les entretenir,
et qu'il y a grande nécessité que celle de Berte soit faite par un bon maître à
cause du peu de pente qu'il y a, a délibéré et donné pouvoir aux dits sieurs
Consuls de passer acte de prix fait, si ainsi le trouvent à propos, audit Gillet,
sur le pied de son offre, sans autres enchères que celles
qui ont été déjà faites. " (25 octobre 1682)
Mais tout cela ne servira à rien, car un autre enchérisseur porte plainte
et le lieutenant sénéchal de la justice de Toulon condamne la ville de La Seyne à
tenir de nouvelles enchères, sans tenir aucun compte des arguments si longuement
développés dans la délibération citée ci-dessus… Elles ont lieu le 10 mars 1683
:
" acquit de 24 livres 9 sols des frais des enchères sur la délivrance de
la fontaine de Berte du 10 mars 1683 " (ratification des comptes du 2 juillet 1683).
La délivrance des travaux est alors faite à " Jacques Sallomé, potier de terre
à Tollon (sic) " (délibération du 14 mars 1683), moyennant " 32 sols la canne ".
Sur quoi, Honoré Gillet d'Aix réclame des dommages et intérêts, menaçant de se pourvoir
en justice : la Communauté s'en remet à des experts, et un accord est effectivement
passé avec Honoré Gillet (délibération du 4 avril 1683).
Mais entre-temps, pour
compliquer un peu plus l'affaire, Jacques Sallomé, venu voir la source,
la trouve " fort basse et presque tarie, de manière qu'il n'y a pas apparence de
la pouvoir conduire au lieu destiné " (délibération du 14 mars 1683) et il se démet
de son offre et de la délivrance qui a été passée en sa faveur.
Et c'est pourtant bien en faveur de " Jacques Sallomé, potier de terre à Tollon ", qui
a semble-t-il changé d'avis, que les consuls " passent acte de prix " le 31 mai 1683 pour
" la conduite des eaux de la fontaine de Berte " (délibération du 13 juin 1683) !
Pourtant, une ou deux semaines avant, de nouveaux problèmes se sont présentés :
à cause de la grande sécheresse (dès le mois de mai !) la source de Berthe
est presque tarie.
Des maîtres fontaniers disent qu'en
" baissant le fossé de ladite source encore de deux pans ",
elle rejaillira (délibération du 23 mai 1683).
Le Conseil
délibère sur ces nouveaux travaux, puis les accepte :
" lequel Conseil, sans préjudice de la délivrance qui a été faite de la conduite de
la susdite source pour la faire exécuter quand il sera à propos, a délibéré que
'pour un cependant' (= en attendant) lesdits sieurs Consuls feront faire la mère
de ladite source avec le pied de poule conformément aux articles qui en ont
été dressés, et conduire icelle par un bornelage jusqu'au fossé du côté du midi du
pré de Michel Collomby prêtre " (23 mai 1683).
Et il accepte aussi les frais supplémentaires :
" et parce que les propriétaires des terres auxquelles les fossés ont été ouverts
demandent leur dédommagement, donnent pouvoir aux dits sieurs Consuls de les payer
à l'estime des experts qui par eux en seront convenus " (ibid.)
Pour ces derniers travaux, on trouve, lors de la ratification des comptes
du 2 juillet 1683, la mention :
" parcelle et mandat de 19 livres 17 sols,
payé à André Aycard pour les nouveaux frais faits à la fontaine de Berte, sauf
le remboursement sur les entrepreneurs d'icelle du dernier juin 1683. "
A peu près à la même époque que ces travaux pour la conduite des eaux de Berthe
vers la ville, d'autres sont envisagés, à celle du Courton (sic) cette fois, mais
pour d'autres raisons : c'est que la ville de La Seyne ne possède encore aucun lavoir…
" la disette des eaux est si grande comme tout le monde le sait, qu'il ne se trouve
plus aucun endroit pour laver les lessives et linges des habitants, étant obligés
d'aller au lieu d'Ollioules avec grande incommodité, n'y ayant à présent aucune eau
en ce terroir que à la fontaine du Courton qui se divise en quatre endroits ;
croyant qu'elle pourrait se ramasser et par ce moyen faire de lavoir à rendre
de grands services. " (17 janvier 1683).
Le conseil décide de faire voir cette source à des " personnes capables " et
de prendre leur avis. Presque à la même date, diverses autres recherches sont
effectuées : le 24 février 1683, Messire Féraud de Marseille reçoit vingt livres pour
" être venu faire le recherche de sources "
et en avoir
" trouvé deux, une proche
de la source Saint-François, l'autre au quartier de la source de la fontaine de l'église " ;
l'on a marqué les deux emplacements pour s'en servir au besoin.
A noter que ces deux dernières délibérations ont lieu en hiver,
quand les sources devraient être abondantes, et non en période estivale :
c'est bien la preuve que le problème de l'alimentation en eau de la ville était primordial,
aux débuts de l'histoire de La Seyne…
Mireille Bailet
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