Film de 17 mn.
Un document vidéo réalisé par " Les Relais de la mémoire ".
Avec l’aide de la municipalité de La Seyne,
du Conseil Général du Var,
et du Conseil Régional de la région P.A.C.A.
Mme GILOUX : Les chantiers navals de La Seyne ont construit des navires pour le monde entier.
Dans les grands ateliers régnait une activité intense. Le vacarme
y était infernal. Les ouvriers y travaillaient dans le bruit, la
poussière, le danger.
Sur les photos groupant le personnel de l’atelier, on reconnaît au milieu
des visages enfantins.
Toutes les industries de cette époque ont employé des enfants.
C’était une main d’œuvre bon marché, donc recherchée.
Pas d’apprentissage, les enfants entraient directement à la production.
Tableau de GIACOBAZZI : " Regard sur les chantiers navals ".
Sur ce tableau de Giacobazzi, les enfants ont des visages, des traits d’enfants,
ils n’en ont pas l’expression. Ils sont tendus, tristes et
sévères, comme des hommes voués à une tâche
pénible. Ils sont passés du monde de l’enfance, au monde adulte,
de l’univers du jeu à celui du travail, sans transition.
MARIUS AUTRAN : Alors, je vais vous parler du travail ces enfants dans nos chantiers de La
Seyne, parce que mon père a été dans ce cas.
Vous savez, à l’époque, on faisait pas faire aux enfants des
études bien longues, mais enfant, au moins ils allaient jusqu’au
Certificat d’Études que mon père avait passé à 11
ans, 12 ans peut - être. Et comme dans la famille il y avait pas beaucoup
de ressources, à l’époque, il n’était pas question
d’allocations ou de ceci ou de quoi que cela. Et les petits, on les envoyait aux
Chantiers.
On prenait les enfants à l’âge de 10 ans ! Ils passaient quelquefois la journée entière dans les ateliers
parce qu’ils emportaient des morceaux d’omelette froide pour manger, ou des
macaronis, des pois chiches. Parce que leur alimentation n’était pas des
plus variée, vous savez. On les nourrissait surtout avec des bourratifs.
Et physiquement ils n’étaient pas tellement costauds. Ce qui veut dire
que, on peut enchaîner sur cette idée, la mortalité
infantile était quand même assez forte. A cette époque, il
mourait jusqu’à 15% de jeunes enfants. C’est les statistiques officiels.
J’ai sous les yeux un texte qui précise qu’à partir de 1896, les
enfants, à partir de 13 ans travaillaient jusqu’à 10 h par jour.
C’était la loi. Par la suite ça s’est amélioré.
Mme GILOUX : Plus de 20 ans après la loi de 1896, une nouvelle loi ramène
à 8h la journée de travail des enfants de 12 et 13 ans.
" Travaux des enfants " - Livret à remplir par les patrons.
Des vétérans des Chantiers se souviennent de l’époque
où, sur un carnet semblable étaient consignées leurs
activités dans les ateliers, et ceci jusqu’à l’âge de 18 ans
où ils passaient du statut d’enfant à celui d’ouvrier.
Loi du 30 juin 1928 :
Conditions du travail.
ARTICLE PREMIER : Les enfants ne peuvent être employés ni admis dans les
établissements visés à l’article ci – dessus avant
l’âge de 13 ans révolus.
ARTICLE 2 : Toutefois, les enfants munis du Certificat d’Études Primaires,
institué par la loi du 28 mars 1882, peuvent être employés
à partir de l’âge de 12 ans.
ARTICLE 6 : La durée du travail effectif des ouvriers ou des employés de
l’un ou l’autre sexe et de tout âge, ne peut excéder soit 8h par
jour, soit 48h par semaine.
Mme GILOUX :: En quelle année vous êtes rentré aux Chantiers ?
Charles BOTTO : En 33, le 3 octobre 33.
Mme G.: Vous aviez donc 13 ans ?
C. B.: 13 ans. Il n’y avait pas d’apprentissage. Tu veux rentrer ? On t’embauche : " Chauffeur de clous ". Allez !
Jo VALDACCI :
Moi j’ai été surpris parce que je travaillais dans un atelier, il
était grand et haut. Et là, j’ai été surpris de…Je
regrettais l’école Martini. Je vous raconte pas, c’était pas
l’école Martini. C’est vrai… c’est vrai. Et le soir, je me languissais,
il me tardait de sortir pour aller voir mes copains.
Pour être surpris, j’ai été surpris, parce que dans les
ateliers, il y a rien de gai… Ca refroidit…ça refroidit… Et puis alors tu
connais personne. Tu connais pas… les gens. Quand ils passaient, ils te
regardaient de la tête aux pieds… peut – être il y avait une
certaine…
Peut – être j’exagère ; mais quand je suis entré travailler…. C’était presque une
punition pour moi. J’ai demandé à aller travailler. Mais je
croyais pas que le travail il était si… si dur ! Oui…
C’est assez normal certainement quand je suis rentré dans l’atelier…je
suis presque certain que je me suis envoyé les mains aux oreilles.
On m’a envoyé à bord. Ca a été dur pour
moi..J’étais perdu là…
Mme G.:A bord, quel était le type de travaux qui te faisais le plus peur ?
J. V. :: C’est la hauteur des bateaux. J’ai travaillé à bord du Montcalm,
le premier Montcalm ? et c’est quand je montais les escaliers. Parce que j’ai le vertige. J’ai
toujours craint le vertige.
Après quelques mois, progressivement on m’a exempté de monter
à bord. De monter dans les coupelles, c’était mortel pour moi. Et
le bruit alors, il m’a rendu sourd le bruit.
C’était pas uns partie de rigolade… Je regrettais…
Mme G. :: Est – ce que vous étiez fatigué ?
J. V. :: Oh oui. Oh là, là. J’avais de la peine. Je faisais de la
gymnastique à cette époque. Mais j’avais de la peine. J’allais
à la gym le lundi, le mercredi et le vendredi. J’avais de la peine
à aller m’entraîner. J’étais mordu de le gym, mais j’avais
de la peine. J’étais fatigué.
Mme G.: Et le restant de l’équipe était gentil avec les enfants ?
C. BOTTO : Il y en avait. Il y en avait que non et y en avait qui frappaient…oui.
J. VALDACCI :J’avais un matelot, Vincent, qui était très gentil. Il avait
appris le métier à mon frère. Mais, manque de pot, mon
frère m’a recommandé à Vincent. Vincent, il m’a pris avec
lui, parce que mon frère… Il a cru que j’avais le même
caractère que mon frère : posé, intelligent, travailleur… tu vois, sage. Mais moi, ce
n’était pas pareil. Je lui est donné du fil à retordre,
malgré moi….
Moi, je cherchais pas à faire " le mariole ", seulement… ma foi, j’aimais la bagarre, je me battais souvent. C’est
malheureux d’être comme ça. Mais on m’a renvoyé, parce que
ça se faisait à l’époque. On m’a envoyé au chef
d’atelier. Il était prêt à me renvoyer. Mon frère il
l’a su. Alors, qu’est – ce qu’il est arrivé ? Il est arrivé que mon frère m’envoyait des roustes. Je te dis
ça, entre parenthèses parce que ça m’a resté
gravé. Il ne faut pas frapper son frère… A ce point. Je craignais
plutôt mon frère que mon matelot.
M. AUTRAN : On les faisait travailler, à quoi ? Ils étaient des manœuvres. Ils arrivaient là, ils ne savaient
rien faire. Bien sûr. Ils avaient tout à apprendre. Alors on leur
faisait faire des travaux quelquefois pénibles. Parce qu’ils
étaient des manœuvres, il fallait transporter des outils, des
pièces.
Jean Baptiste PIANA : L’atelier se trouvait à peu près, par rapport à la place de
la Lune, dans le milieu de la place de la Lune. Et alors, avec le charreton, on
prenait jusque de là jusqu’aux Mouissèques. Le plus jeune se
mettait aux bras. Et il y avait des anciens, de la Marine Nationale, beaucoup.
Ils venaient finir leur carrière là, pour compléter un peu.
Et ces gens, ils étaient costauds ces bonshommes. C’était
d’anciens marins. Et nous on était jeunes. Des fois, il arrive qu’on
tombait, on arrivait pas à tenir les bras du charreton, tellement
c’était chargé de matériel.
M. AUTRAN : Alors ces enfants étaient trimballés d’un bord à l’autre et
ils ne leur apprenaient rien. Sauf qu’on leur disait " regarde comment fait l’ouvrier " Et il y en a qui arrivaient à comprendre quelque chose. On les
utilisait aussi quelquefois à ce travail qui consistait à tenir
l’abattage.
Vous savez, à l’époque, la soudure électrique n’existait
pas. Il y avait les rivets. Il fallait faire chauffer les rivets au rouge pour
les introduire dans les tôles percées et les écraser de part
et d’autre. Parce qu’après, avec le refroidissement du métal,
ça assurait une étanchéité presque parfaite. Ils
faisaient ça. Ils faisaient chauffer les rivets.
J. B. PIANA Ils perdaient presque la vue, les chauffeurs de rivets.: Toute la journée devant la forge, ils n’avaient pas de lunettes. Alors,
la poussière de charbon ! Et il fallait faire vite. Ils étaient à la pièce.
Mme G.: Et en somme vous chauffiez des rivets ?
C. BOTTO : Je chauffais les rivets et le chauffeur les écrasait. Quand il arrivait
une bordée, il fallait en mettre 3 à 400 par jour…
Mme G.:Cela doit être dur pour un enfant de 13 ans ?
C. BOTTO: Oh, là, là. M’en parlez pas. Inimaginable ! Quand je suis rentré là – dedans : cet enfer du bruit, l’enfer des hommes… ces pistolets tout ça…Une
tête comme ça ! C’était très dur, très dur. Vraiment très dur…Ah,
c’était dur vous savez !C’était vraiment dur !.. Je sais pas, si on pouvait recommencer, si on pouvait trouver des gens pour
faire tout ça… Je crois pas… Je crois pas…
M. AUTRAN : Quand vous faites ça pendant 10 h, ils avaient quand même
gagné leur journée qui s’élevait à l’époque
à pas 20 sous par jour. Mais enfin ils apportaient cet argent à
la maison.
Mme G.: Au point de vue argent vous donniez tout à la maison ?
J. VALDACCI : Ah, je donnais tout à la maison.
Mme G.: En somme, tout ce que vous gagniez ça allait à la maison et on
vous donnait une petite somme.
J. VALDACCI : Une petite somme. Une toute petite somme. Elle me donnait 1F, ma mère,
pour aller au cinéma. Il y avait le REX, le Kursal et le cinéma
à La Seyne. Mais c’était trop cher et j’allais à la " maison du peuple ". C’était un cinéma de curé.
M. AUTRAN : Et quand vous arriviez à Noël, j’aurais pu évoquer cela tout
à l’heure à propos des enfants, c’était rare de voir des
enfants qui avaient de beaux jouets. Quand ils mettaient les souliers pour que
le Père Noël apporte quelque chose, le lendemain ils trouvaient une
orange. Vous voyez ! Quelquefois un objet fabriqué par le père ou le tonton. Mais
enfant, c’était rare de voir des enfants avec des chevaux
mécaniques ou quelque chose comme ça.
J. VALDACCI : Et bien moi, j’avais que des bonbons… Je mettais mes souliers dans la
cheminée et… comme tous les gosses…Le matin, je me réveille et
je vois une lettre dans mon soulier. Je la lis (rire), il y avait marqué que j’aurai mon jouet lorsque je saurai toutes mes
leçons…Et le Père Noël m’avait oublié ce jour –
là.
M. AUTRAN : Alors voilà. Ces enfants qui restaient jusqu’à 14 ou 15 ans
à servir de boys. Et arrivé à cet âge là, je
sais que c’est arrivé comme ça à mon père, il y
avait des adultes qui disaient : mais enfant, tu es un enfant intelligent, tu vas pas passer ta vie à
faire ça. Il avait passé son certificat d’études. Le
certificat d’études à l’époque c’était un
diplôme qui avait beaucoup de valeur. Alors finalement, on les orientait
vers la Bourse de travail où on donnait déjà à
l’époque…Au début du siècle, des municipalités
soucieuses de la jeunesse, avaient instituées ce qu’on appelait les cours
d’adultes de la Bourse du travail. Des cours gratuits. Mais pour ce qui est des
enfants, ils ont souffert beaucoup et ils n’apprenaient pas parce qu’il
n’existait pas de cours d’apprentissage. Cela n’existait pas dans les Chantiers
On a découvert cela beaucoup plus tard l’enseignement technique. Par la
suite on a créé l’école d’apprentis, mais beaucoup plus
tard. Au point de vue technique, l’enseignement technique n’existait pas.
L’enseignement technique a existé à La Seyne à partir de
1924 – 1925, à l’école Martini.
Voilà ce que je peux vous dire sur la vie de ces enfants, de cette
époque. Ca a été une vie très rude et, je vous dis,
dans des conditions difficilement supportables.
" L’EXPLOITATION DES ENFANTS EXISTE TOUJOURS DANS CERTAINS PAYS .
Certaines entreprises DES PAYS RICHES Y FONT FABRIQUER LEURS PRODUITS POUR
BENEFICIER DE CETTE MAIN D’ŒUVRE BON MARCHE. "
Avec Marius AUTRAN Charles BOTTO,Jean – Baptiste PIANA, Jo VALDACCI ?
Et les voix de René GIOVANANGELLI et Paule GILOUX.
Nous remercions Monsieur Laïk, le peintre GIACOBAZZI et l’atelier de
mécanique.
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