Les armoiries de la ville ASSOCIATION POUR L'HISTOIRE ET LE PATRIMOINE SEYNOIS


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Jean Pierre GIACOBAZZI

Né à Toulon, place Pujet le 18 septembre 1941.

Mère d'origine bretonne, père d'origine italienne. Sa famille vient d'Emilie, près de Bologne.

Vit ses premières années au Revest -les-eaux, au domaine de la Salvate.

Rencontre le peintre toulonnais A. Pianfetti qui va l'éveiller, le conseiller, l'aider à peindre.

Plus tard, il va peindre le Revest, Toulon (autour de la rade) et puis, peu à peu, travailler sur des thèmes qui vont lui devenir chers, sa famille, le monde de l'émigration italienne, l'Amérique, l'Afrique du nord, le Rugby … Il va exposer son travail dans la région (Toulon, La Seyne, Marseille) mais aussi en Algérie, à Paris, en Italie bien sûr.

 

 

 

La mémoire de La Seyne dans l'œuvre picturale de J. P. Giacobazzi.

Je voudrais, pour commencer, dire ce que je ne vais pas faire : je ne compte pas raconter la biographie de J. P. Giacobazzi de manière exhaustive, , d'abord parce que d'autres l'ont fait avec talent, avec un grand soin du réel et du détail et aussi parce que son œuvre est loin d'être terminée ; je ne souhaite pas non plus parler longuement de l'Histoire de La Seyne (je ne suis pas un historien), ni même analyser les tableaux de J. P. Giacobazzi dans le détail (établir des filiations, définir les écoles, les tendances de l'art contemporain), je voudrais pourtant aborder ces différents points pour essayer de voir comment cela peut se mêler, s'expliquer et aussii s'insérer dans un ensemble plus grand.

D'abord, J.P. Giacobazzi n'est pas le peintre officiel des Chantiers de la Méditerranée, il n'est d'ailleurs le peintre officiel d'aucun domaine précis. Pourtant dans le catalogue de l'exposition La Seyne V.O., exposition sur laquelle on reviendra, il écrit : " Pour le Toulonnais que je suis, il y a longtemps que je connais sur sa façade extérieure les C.N.I.M. Au plus loin que remonte ma mémoire, le nom de La Seyne est très étroitement lié aux Chantiers ".

Mais voilà, il n'y a pas de peintre sans peinture et on ne peut parler d'un voyage dans la peinture sans montrer des peintures, montrer à tous un itinéraire riche, varié et qui va dans plusieurs directions.

Photo N° 1: Ciao Giuseppe – 1983 – huile sur toile – 100 X 100

 

En effet, J.P. Giacobazzi voyage, beaucoup, dans le monde et dans l' imaginaire, comment faire autrement si on veut être sans cesse en prise avec le réel ? Et ce n'est jamais un voyage abstrait. Il peint le monde tel qu'ill le voit et le premier thème qui l'a saisi, qu'il a traité, c'est celui de sa famille, de sa terre, celle de ses ancêtres, ceux dont on a besoin pour vivre, pour savoir d'où on vient et donc, pour pouvoir se diriger quelque part. Ces voyages lui ont finalement permis de ramener de la matière.

Tout d'abord on peut s'évader en s'intéressant à son nom : : Giacobazzi. C'est un nom qui vient d'Italie, comme beaucoup de gens ici, en Provence et tout particulièrement sur la côte et à La Seyne sur mer (Ouvrons un annuaire du téléphone et nous verrons tous les noms d'origine italienne qui s'y trouvent!).

Ensuite, le thème de l'immigration s'impose car il est la première source du travail de Giacobazzi. Ce mot "immigration" renvoie à une réalité. On part, on quitte l'Italie, on rêve d'un pays mythique où tout sera beau et merveilleux, où il y aura du travail, de l'argent, la vie en somme. Cette immigration, commence dès le XIXème siècle, au moment des épidémies de choléra, en haute Provence, à Marseille. Dans les campagnes, les villages sont presque désertés, si bien que les évêchés organisent, en accord avec certaines régions d'Italie, du Piémont, de la vallée du Pô, un mouvement de populations qui peu à peu viennent s'installer et travailler en Provence. Celles-ci vont se fixer partout où il y a du travail bien sûr, travail saisonnier d'abord, puis travail à " durée déterminée ". Vers 1848, 1850, à Toulon et à La Seyne, des chantiers se créent ; le premier chantier Matthieu à La Seyne recrute beaucoup de personnel. Les immigrés deviennent spécialistes pour les premiers bateaux à vapeur. Les chaudronniers venus d'Italie sont une main d'œuvre très appréciée. Pendant cette période, la construction navale toulonnaise continue de fabriquer des navires en bois. Il faut préciser qu'il s'agit de fabriquer des navires à hélices et non à roues à aube. Ainsi on aura besoin de beaucoup d'ouvriers et de personnel qualifiés.

Avec cette immigration arrivent aussi les idées des Carbonari, des Garibaldiens. Tous ces détails apparaissent bien dans l'œuvre picturale.

Photo N°2 : Par delà les sentiments – 2000 – huile sur toile – 60 X 73.

Pendant un siècle se met en place un mouvement de population entre l'Italie et la France, avec des moments forts comme le début du XXème siècle. Cela ne s'est pas fait sans heurts. On peut citer les événements tragiques qui se sont déroulés à Port St Louis du Rhône.( Ce n'est pas La Seyne, mais si proche tout de même) où des quartiers entiers de travailleurs italiens ont été attaqués par les habitants de la localité, plus ou moins poussés par des meneurs xénophobes et racistes. Il y a eu beaucoup de morts et de blessés. Beaucoup ont dû repartir en Italie ou essayer de s'installer sur la côte et en Provence intérieure.

Mais ses événements violents et durs sont rares, et l'immigration se poursuit.

C'est le grand voyage, on essaye dès qu'on peut, de faire venir la Famille, les enfants. On s'installe dans la vieille ville. C'est un peu un ghetto. On trouve des amis, des cousins. Se développe la Solidarité. Ce n'est jamais facile. C'est le problème de toutes les immigrations. Et à ce propos encore les problèmes Seynois se fondent dans l'ensemble des problèmes de l'immigration en général.

Photo N° 3: Besagne Blues –1990 – huile sur toile – 100X100.

Il y a surtout le problème de la langue. Les enfants apprennent toujours vite. Ce sont eux qui veulent s'intégrer le plus rapidement. Il est vrai que si l'on reste entre amis, entre proches, on n'apprend pas. Si on s'éloigne on se coupe de ses racines. On a quelquefois tendance à se fermer, à s'enfermer. On est quelquefois mal accueilli par les gens du pays qui vous reprochent de prendre le travail ( de prendre les femmes aussi, vieil argument xénophobe qui revient périodiquement) Il y a les insultes : "piantu" … bâbi… (voir ce qui était dit plus haut à propos des événements de Port St Louis du Rhône).

Je me souviens de conversations avec des amis d'origine Italienne de Lyon qui me disaient qu'ils enlevaient le "i" qui était à la fin de leur nom pour s'intégrer mieux.

 

Photo N°4: Lo sciopero – 1978 – technique mixte – 54X65.

 

Berruti devenait Berrut ou Tamburlini devenait Tamburin. On peut aussi remarquer qu'en Provence, beaucoup d'immigrés d'origine italienne passeront plus facilement de l'Italien au provençal qu'au Français à cause de l'accent tonique. Mais cela plus à la campagne qu'à la ville. Il y aura une deuxième vague d'émigration vers les années 20 à cause de l'arrivée du fascisme, de Mussolini. Ce seront les victimes du fascisme, les syndicalistes, les politiques…

Ces derniers arrivants feront mieux encore fonctionner la solidarité. Ces immigrés vont emmener leurs chants, leurs traditions syndicales. On peut évoquer la figure du père de Jean Giono, anarchiste, carbonaro, cordonnier, personnage important de Manosque et ami du père d'Emile Zola.

En somme la réalité de l'émigration est la même à Lyon, en Provence et sur la côte, quand nous voyons ce drapeau brandi qui annonce les luttes ouvrières. C'est dans la solidarité que se crée une conscience de métier et de classe sociale, avec des hauts et des bas, or c'est toujours le travail de J.P. Giacobazzi de vouloir s'adresser au plus grand nombre, non par le discours ou l'écriture mais par le dessin, le montage, la peinture, l'image et surtout le choc des images qui se bousculent, se renforcent et ouvrent le propos. (Relation avec les Varois qui ont défendu la République en 1851, contre le coup de force de Louis -Napoléon Bonaparte).

 

Photo N°5: Souvenirs de classe – 1979 – huile sur toile –162X 130.

L'intégration des émigrés, c'est bien connu, s'est toujours faite par l'école, pas n'importe laquelle bien sûr, il s'agit de l'école pour tous, l'école de la République. On en dit bien du mal quelquefois, on dit qu'elle ne fait pas ce qu'elle doit. Certes, elle a étouffé les langues régionales, mais dans une situation d'urgence il est important que chacun apprenne une même langue, l'écrive pour suivre la même Loi. Ce n'est pas un hasard si nous voyons apparaître ici ou là, la silhouette de Charlie Chaplin, "Charlot" accompagné du Kid : Charlot l'Emigrant (Voir le film éponyme où tout est dit en si peu de mots sous titrés et en images sobres et inoubliables).

Cette classe que nous voyons là, date sans doute des années 30. On peut le voir au chapeau de la maîtresse, elle me remet en mémoire ma propre classe à l'école de Rivière Neuve, un quartier de Toulon. La classe se partageait entre Italiens, Bretons (la Marine Nationale!) et quelques locaux!

Charlie Chaplin n'était pas avec nous on le voyait aux séances de cinéma à l'école, devant un projecteur 16m/m bruyant et qui tombait en panne quelquefois.

 

PhotoN°6: Regards sur les chantiers navals – 1982 – huile sur toile 97X146.

Pour finir, abordons un travail plus spécifique de J.P. Giacobazzi sur les Chantiers. Il s'agit de l'exposition " La Seyne V.O ", " Regard sur les chantiers navals " qui a eu lieu en octobre 1982. C'était une exposition collective, avec plusieurs peintres : Rénée Lion Tché Yung, Bernard Latuner, Jacky Lézin. Il s'agissait de rendre hommage aux Chantiers de La Seyne, , éléments de vie, de structure, de culture. Il est vrai que pendant très longtemps la ville a vécu pour et par l'Entreprise. C'est ce qu'essaie de dire et de montrer en particulier cette toile dont on a vu les reproductions un peu partout. Il est nécessaire de préciser néanmoins que J. P. Giacobazzi ne cherchait pas à produire une peinture militante, de celle qu'on appelait en son temps le " Réalisme socialiste " illustrée par exemple par Fougeron dont on a dit beaucoup de bien, puis dont on s'est moqué par la suite. Il ne s'agit pas pour lui, et à travers une peinture du monde du travail de glorifier la production industrielle, il ne s'agit pas non plus d'établir une sorte de culte du Travail qui serait comme une sorte de nouveau Dieu. J.P. Giacobazzi se contente de regarder autour de lui et il peint ce qu'il voit, avec humour. Son sens de la communication s'adressant non à des élites bavardes, mais au plus grand nombre. Ce n'est pas une peinture esthétisante.

Laissons à ce titre la poésie de Jacques Prévert emplir la page : ,

"L'effort humain"

L'effort humain

n'est pas ce beau jeune homme souriant

debout sur sa jambe de plâtre

ou de pierre

et donnant grâce aux puérils artifices du statuaire

l'imbécile illusion

de la joie de la danse et de la jubilation

évoquant avec l'autre jambe en l'air

la douceur du retour à la maison

Non

l'effort humain ne porte pas un petit enfant sur l'épaule droite

un autre sur la tête

et un troisième sur l'épaule gauche

avec des outils en bandoulière

et la jeune femme heureuse accrochée à son bras.

L'effort humain porte un bandage herniaire

et les cicatrices des combats

livrés par la classe ouvrière

contre un monde absurde et sans lois.

L'effort humain n'a pas de vraie maison

il sent l'odeur de son travail

et il est touché aux poumons

son salaire est maigre

ses enfants aussi

il travaille comme un nègre

et le nègre travaille comme lui…

 

Photo N°7: Les temps modernes – 1982 – huile sur toile – 100X100.

 

Avec cette peinture, nous sommes toujours dans la mémoire de La Seyne et toujours dans le monde du travail tel qu'il existe maintenant, en parlant un peu de cet art du montage qui ne manque pas de nous faire réfléchir sur notre vie, sur nos sens, sur ce qui nous entoure.

Je terminerai en lisant un texte que Giacobazzi avait écrit en 1982, lors de cette exposition : " Les Chantiers navals me font penser bien sûr aux grands bateaux, aux grues, aux océans, aux ouvriers très spécialisés qui construisent des grandes sculptures. Ils me font penser aux travailleurs émigrés, à la génération de mon père où un enfant, dès l'âge de 9 ans devait quitter l'école pour aller travailler. Dans le silence de mon atelier, le bruit assourdissant et brutal des machines est intraduisible sur la toile ".

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