A chaque fois les rencontres se font par des activités à
l’extérieur ?
Ces deux amies, j’ai fait leur connaissance dans un stage en 89 au CDDP, un
stage de phonétique organisé par le CEFISEM. J’avais des
difficultés pour dire certains sons qui n’existent pas en arabe et
inversement. Jusqu’à présent on travaille ensemble. L’Association
" Femmes dans la cité " on l’a montée ensemble, mais c’est C. et le conseil
d’administration qui font l’essentiel du travail.
L’idée de " Femmes dans la cité ", c’est vous ? Comment vous est elle venue ?
L’idée de cette association m’est venue une fois que j’ai eu mon
diplôme de formatrice parce que dans le document final, il y avait
à présenter un projet de formation. J’ai parlé d’un
groupement de femmes immigrées, aidées par d’autres afin de mieux
comprendre la société française et s’intégrer mieux.
J’en ai parlé aux femmes avec qui je travaillais dans mes vacations au
GRETA, mais aussi aux femmes de la cité, parce que j’ai aussi
travaillé au Centre culturel de Berthe. On a tissé des liens
d’amitié, de confiance, de respect. Ce qui a soudé le groupe de
femmes, c’est la réussite scolaire des enfants: comment faire pour que
nos enfants réussissent? Si on se met ensemble:
sénégalaises, françaises, maghrébines…, c’est parti
de là, l’association qui s’est créée en 93, de la base, de
nos besoins. Ces femmes ont compris qu’il faut sortir, aller vers l’autre, ne
pas avoir peur, même si on parle avec un accent, si on confond le masculin
et le féminin parce qu’en arabe des mots sont masculins ou
féminins et en français vice – versa.
Mais si je dois m’arrêter à ça !
Vous avez eu une activité professionnelle assez vite finalement ?
J’ai commencé au GRETA comme vacataire, en faisant de
l’alphabétisation le soir et aussi l’après-midi pour les femmes,
et puis on a eu un centre permanent linguistique et je suis maintenant à
temps plein. On a des adultes, mais beaucoup de jeunes, de plus en plus de
jeunes, pour une remise à niveau en math et Français. Il y a une
partie " entreprises "pour qu’ils puissent par la suite préparer un CAP ou une autre
formation qualifiante. J’interviens maintenant surtout en math. Je suis heureuse
quand je vois qu’un jeune a réussi à décrocher un contrat.
Dernièrement il y en a eu 2 qui ont été pris à la
cantine de Beaussier et Langevin. Je suis fière de ça.
Dans l’Association, je ne fais peut-être pas tout ce que je souhaite parce
que je n’en ai plus trop le temps, et il faut du sang neuf, il faut que d’autres
prennent la suite. Il y en a qui ne comprennent pas toujours ça, et
ça me fait un peu mal. Ce n'est pas que je veuille qu’on me dise merci,
mais qu’il y ait un peu de reconnaissance. Mais bon… Pour l’Association, je
donne de mon temps mais en retour, j’ai plus que de l’argent. Je connais
beaucoup de gens, j’ai beaucoup d’amis, j’ai le soutien de l’Association
derrière moi et, ça ne s’achète pas. Chez nous on dit
" [men arhabaon ene son arabou allahron] " " celui qui est aimé par les gens, il est aimé par le Dieu ", et comme moi je suis croyante…
Votre attachement à la religion, ça s’est transmis à vos
enfants et comment ?
Je pense que pendant le Ramadan c’est important de préparer la table. Mon
mari il fait, ou il ne fait pas le Ramadan, mais pour moi c’est important. Ma
fille depuis qu’elle est au Lycée, elle reste à midi, et avec ses
copines elle fait le Ramadan, il y a même des copines françaises
qui leur disent : " Ca nous fait mal au cœur de manger à côté de vous " et elles aussi, elles ne mangent pas… Le soir, quand ma fille rentre
c’est la fête chaque soir.
Mon petit dernier, mon fils qui a 5 ans vient souvent dans mon lit le soir et me
dit: "maman raconte-moi une histoire", et je commence, je lui lis une
sourate, d’autres livres aussi. Je lui demande s’il veut que je lui lise un peu
de Coran. Il dit oui. Alors je lui raconte la sourate. Après je lui dis
et il répète par cœur. Il est fier, il dit qu’il sait parler
arabe.
Vous parlez arabe à vos enfants ? Moi, ma mère d’origine espagnole n’a jamais parlé espagnol
à la maison.
Des fois j’entends des femmes qui disent que le maître exige qu’on parle
français à la maison. Je me dis : encore il faut leur enlever ça ? Mes enfants ils font très bien la différence entre la Tunisie et
la France. Il faut vivre avec les 2 cultures, mes enfants, il faut qu’ils soient
bien là où ils vivent, ils font du sport, de la musique. Je fais
tout pour qu’ils ne se sentent pas différents, ils ont déjà
la couleur…
Rentrez-vous souvent au pays ? Qu’est-ce que cela représente pour vous ? Emmenez-vous vos enfants ?
J’essaie de rentrer au pays tous les ans, des fois même deux fois par an.
C’est très important parce qu’on revient plus fort, on dirait.
L’été, mes filles partent, moi je reste, je ne veux pas rentrer
l’été parce que l’été ce sont les mariages, et moi
j'ai pas envie. Beaucoup de femmes disent: on rentre pour les fêtes, c’est
bien. Mais moi je rentre pour voir mes parents, pour discuter avec eux, manger
avec eux. Pour mes filles, c’est important d’aller voir leurs grands parents. Ma
grande parle bien arabe, la deuxième un peu moins et la troisième,
malheureusement encore moins. Je suis seule à parler arabe à la
maison. Ma mère a 63 ans, elle est coquette, elle aime que je lui apporte
des chaussures françaises, elle met toujours le voile, un taxi l’attend
pour aller au bain, chez ses frères et ses sœurs et c’est tout. Il n’y a
pas un endroit où elle choisit d’aller si mon père n’est pas
d’accord. Maintenant qu’elle a pris de l’âge, de la confiance, ses enfants
ont réussi, elle tient le voile sous le menton et pas sous les yeux. Elle
sait écrire, elle fait ses prières, elle lit le Coran. Mon
père travaille, il a un louage, il va dans toute la Tunisie, il rentre le
soir, mais ça n'nous dérange pas. Ma mère est toujours
là et il y a aussi mes grands-parents, les oncles, les tantes, c’est
ça aussi qui nous sécurise même si mon père n’est pas
là. Et puis je sais qu’ils s’intéressent beaucoup à notre
scolarité.
Ma mère a eu 9 enfants, 4 filles et 5 garçons. Le 5 eme
garçon n’a pas eu le bac, ma mère l’a mal vécu, la pauvre.
Mon frère, on l’a mis dans une école privée, ça n’a
rien donné. Maintenant, il a pris le louage de mon père, mais il
n’a pas eu le bac. Mais pour ma mère, du moment que les filles ont
réussi, les autres ce sont des garçons, ça ne fait rien.
Elle m’a toujours dit: il faut que tu aies un diplôme, tu le mets dans un
cadre, même si tu ne travailles pas ça ne fait rien,
peut-être un jour, tu vas changer d’avis. Quand je suis venue en France,
ma mère m’a dit, il faut que tu travailles; elle veut que l’on ait notre
voiture. Ma mère, elle est très ouverte, très attentive si
je l’appelle. Je l’appelle tous les dimanches et si je le lui parle d’un
contrôle à une date, la veille, elle me rappelle… Elle était
consentante pour rester à la maison, mais est-ce vraiment ce qu’elle
voulait ? Après, avec ses filles, elle vit.
Elle n’est jamais venue en France. Mon père, mes sœurs, mes frères
sont venus me voir, mais pas ma mère, car tant qu’elle a une fille qui
n’est pas mariée, à la maison, elle reste avec elle, même si
cette fille est étudiante et une partie du temps au Canada. Il faut
qu’elle ne quitte pas le foyer.
C’est vrai que si j’étais restée là-bas, il y a des choses
que je n’aurais pas pu faire. Quand je rentre, je ne raconte pas toutes mes
activités, ni celles de mes enfants. Il y a une pression familiale, comme
par exemple construire une maison, avoir de l’or; des fois on ne veut pas. Moi,
j’n'ai pas de maison, ma mère me dit : il y a 20 ans que tu es là-bas et tu n’as pas encore de maison ?
Les femmes parlent souvent de rentrer au pays, mais elles disent aussi que
là-bas, elles se sentent immigrées. Elles parlent des
difficultés familiales. Beaucoup ont des désaccords avec leur mari
et certaines divorcent. Il y a aussi que l’homme revient à la maison avec
le chômage et ils ne se supportent plus. Les femmes se disent: comment
ça se fait que mes enfants ne réussissent pas à
l’école, leur père est là, mais il ne fait pas attention
à eux. Il n’y a que moi qui le fais. Les femmes disent aussi:
"là-bas, je vais chez ma mère, chez ma sœur ou ma tante et je
parle, après je rentre, je suis bien". Ici, où tu vas, chez
une voisine? Qui après, va parler de toi en disant "elle fait
ça et ça". Tu ne vas pas oser parler et tu vas encaisser,…
jusqu’à quand ?
Quand les hommes n’étaient pas à la maison, comment les femmes
vivaient la situation ?
Les femmes disent qu’au début, les choses se sont bien passées,
elles prenaient bien soin de tout, faire les papiers et tout, elles se sentaient
comme les femmes françaises: moi aussi je vais à
l’extérieur, je sais faire, je me fais confiance. Bien, mais
jusqu’où ?
Il y a des fois où des filles disent : je ne veux pas un mari comme le tien. Est-ce qu’elles savent tout ? Nos filles sont nées ici, elles n’ont pas été
déchirées. Elles ne connaissent pas tout, elles ne peuvent pas
comparer.
Et nous, quand nous les voyons sortir et que c’est bien vu par les
frères, on est gêné; on se dit : "comment? son frère ne dit rien?" Il ne se conduit pas comme
un homme arabe, et c’est bien comme cela, peut-être ?
Il faut réfléchir. Il faut arriver à ce que l’homme
participe, l’associer à ce que l’on fait.
Les femmes quand on les interroge sur leurs goûts, leurs centres
d’intérêt, leurs loisirs c’est quoi ? Faire des choses pour leur mari, les enfants. Ca ne leur vient pas à
l’idée de faire un tour dehors, avec une copine, pour le plaisir. Ce
n'est pas qu’elles ne veulent pas mettre le nez dehors, mais elles n’y pensent
même pas. Pourquoi toujours penser aux enfants, au mari, au pays et pas
à soi ?
Et vous, vous pensez à vous ?