Les armoiries de la ville ASSOCIATION POUR L'HISTOIRE ET LE PATRIMOINE SEYNOIS


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L'AVENTURE DE L'IMMIGRATION MAGHREBINE: Récit d'une Seynoise immigrée, Nazia.

Texte recueilli au cours d'interviews réalisées par Andrée Bensoussan

Introduction:

Arriver en France, qu'est ce que cela a représenté pour vous ?
Cela s’est passé quand et comment ? J’aimerais savoir ce que vous avez envie de dire à ce sujet.

Je suis née à Menzel Bourguiba, dans le golfe de Bizerte, en Tunisie.

Je suis arrivée en France en décembre 1981, comme beaucoup de femmes immigrées, j’ai suivi un mari qui travaillait en France.

Comment avez vous connu votre mari ? Travaillait-il aux Chantiers ?

On s’est connu quand il est venu en Tunisie pour la première fois à l’âge de 25 ans. Il était arrivé en France en 64 avec ses parents, à l’âge de 8 ans. Mon beau-père travaillait aux Chantiers, mon mari, lui, est électricien dans une entreprise privée.

J’étais, d’un côté, heureuse de venir en France, mais en même temps, c’est triste de laisser sa famille : je suis la deuxième fille, la deuxième maman et c’est dur de laisser 5 frères et 3 sœurs et ses parents. Ce n’est pas rien de laisser sa famille, son pays. On n’a pas choisi.

J’ai été aidée au début par ma belle-mère, qui ne sait pas lire et écrire, mais qui m'a aidé à me déplacer à Toulon ou même à La Seyne, pour éviter par exemple que mon mari quitte son travail pour m’accompagner à la banque.

Qu’est – ce qui vous a choqué ou attiré en arrivant en France ?

J’étais étonnée en arrivant en France de trouver les femmes un peu âgées, comme ma belle-mère sortir, faire tout, aller au supermarché, à la banque, mais c’était il y a 20 ans, en Tunisie aussi maintenant ça a beaucoup changé !

Il y avait le froid et aussi le comportement des gens, réservés. J’ai mis du temps à m’habituer à vivre en appartement – déjà monter 3 étages; et devoir toujours faire attention ! C’était dur pour moi de ne pas faire les choses quand j’avais envie de les faire, de mettre un cadre sur un mur, de taper à minuit, mais bien sûr je ne le fais pas.

J’ai eu 4 enfants dans le même appartement de 72 m2, mais je n’ai jamais eu alors de problème avec mon voisinage.

A mon arrivée, je m’ennuyais à la maison, je regardais beaucoup la télé, chose que je ne faisais pas avant, en Tunisie où j’ai travaillé un an et demi avant mon mariage. J’étais enseignante dans le primaire, dans une école française après avoir fait l’école normale.

Quand je suis arrivée en France, je n’ai pas voulu avoir des enfants tout de suite. Je me suis inscrite au CNED pour faire de l’Anglais par correspondance mais c’était très dur, je prenais du retard pour envoyer mes devoirs. J’ai arrêté. J’ai eu ma première fille Nabila en octobre 82. J’ai eu des problèmes de santé, mes reins étaient un peu fatigués et un jour dans le bus en allant à Brunet à Toulon , avec Nabila dans la poussette, j’ai commencé à parler à une dame qui m’a laissé sa place, puis moi, j’ai laissé la mienne à une dame âgée. Elle avait un petit accent italien. Elle m’a proposé d’aller à Saint Jean du Var dans une association culturelle (Culture et Liberté) dont elle faisait partie; et me voilà là-bas chaque jeudi ou mercredi avec Nabila, après avoir pris 2 bus. C’est le déclic qui m’a beaucoup aidée. On faisait des fêtes, on fêtait la Noël ensemble, ça représentait la famille, les parents, pour moi, qui viens d’une famille nombreuse avec les grands parents qui sont juste à côté , je n’ai qu’à changer de route.

Après avoir fait partie d’une équipe qui anime, j’ai pu aider les femmes à faire certaines choses, à remplir des papiers. C’est vrai, je ne sais pas coudre, pas tricoter mais comme il y avait l’alphabétisation, je suis allée voir comment on travaille; l’année d’après, on m’a proposé quelques heures d’animation auprès des enfants " Aux Œillets ". J’allais le mercredi après-midi, je m’étais proposée pour venir aider la formatrice ; le lundi et le jeudi je donnais des cours d’alphabétisation. Cette association m’a permis de travailler en tant que bénévole, mais aussi d’avoir quelques heures salariées.

Mais grâce à Catherine et Françoise j’ai pu préparer le D.U.F. Diplôme Universitaire de Formateur, qui se déroulait une partie à Aix et une partie à Toulon, sur deux ans, en 88-89. Le mercredi, j’ai pu aller à Aix en laissant mes trois enfants qui n’avaient pas d’école ce jour-là. Mes amies viennent les chercher chez moi, au lit et je les récupère le soir, prêts à être mis au lit. Être aidée comme ça, c’est précieux, on ne peut pas avancer quand on ne vous tend pas la main.

A chaque fois les rencontres se font par des activités à l’extérieur ?

Ces deux amies, j’ai fait leur connaissance dans un stage en 89 au CDDP, un stage de phonétique organisé par le CEFISEM. J’avais des difficultés pour dire certains sons qui n’existent pas en arabe et inversement. Jusqu’à présent on travaille ensemble. L’Association " Femmes dans la cité " on l’a montée ensemble, mais c’est C. et le conseil d’administration qui font l’essentiel du travail.

L’idée de " Femmes dans la cité ", c’est vous ? Comment vous est elle venue ?

L’idée de cette association m’est venue une fois que j’ai eu mon diplôme de formatrice parce que dans le document final, il y avait à présenter un projet de formation. J’ai parlé d’un groupement de femmes immigrées, aidées par d’autres afin de mieux comprendre la société française et s’intégrer mieux. J’en ai parlé aux femmes avec qui je travaillais dans mes vacations au GRETA, mais aussi aux femmes de la cité, parce que j’ai aussi travaillé au Centre culturel de Berthe. On a tissé des liens d’amitié, de confiance, de respect. Ce qui a soudé le groupe de femmes, c’est la réussite scolaire des enfants: comment faire pour que nos enfants réussissent? Si on se met ensemble: sénégalaises, françaises, maghrébines…, c’est parti de là, l’association qui s’est créée en 93, de la base, de nos besoins. Ces femmes ont compris qu’il faut sortir, aller vers l’autre, ne pas avoir peur, même si on parle avec un accent, si on confond le masculin et le féminin parce qu’en arabe des mots sont masculins ou féminins et en français vice – versa.

Mais si je dois m’arrêter à ça !

Vous avez eu une activité professionnelle assez vite finalement ?

J’ai commencé au GRETA comme vacataire, en faisant de l’alphabétisation le soir et aussi l’après-midi pour les femmes, et puis on a eu un centre permanent linguistique et je suis maintenant à temps plein. On a des adultes, mais beaucoup de jeunes, de plus en plus de jeunes, pour une remise à niveau en math et Français. Il y a une partie " entreprises "pour qu’ils puissent par la suite préparer un CAP ou une autre formation qualifiante. J’interviens maintenant surtout en math. Je suis heureuse quand je vois qu’un jeune a réussi à décrocher un contrat. Dernièrement il y en a eu 2 qui ont été pris à la cantine de Beaussier et Langevin. Je suis fière de ça.

Dans l’Association, je ne fais peut-être pas tout ce que je souhaite parce que je n’en ai plus trop le temps, et il faut du sang neuf, il faut que d’autres prennent la suite. Il y en a qui ne comprennent pas toujours ça, et ça me fait un peu mal. Ce n'est pas que je veuille qu’on me dise merci, mais qu’il y ait un peu de reconnaissance. Mais bon… Pour l’Association, je donne de mon temps mais en retour, j’ai plus que de l’argent. Je connais beaucoup de gens, j’ai beaucoup d’amis, j’ai le soutien de l’Association derrière moi et, ça ne s’achète pas. Chez nous on dit " [men arhabaon ene son arabou allahron] " " celui qui est aimé par les gens, il est aimé par le Dieu ", et comme moi je suis croyante…

Votre attachement à la religion, ça s’est transmis à vos enfants et comment ?

Je pense que pendant le Ramadan c’est important de préparer la table. Mon mari il fait, ou il ne fait pas le Ramadan, mais pour moi c’est important. Ma fille depuis qu’elle est au Lycée, elle reste à midi, et avec ses copines elle fait le Ramadan, il y a même des copines françaises qui leur disent : "  Ca nous fait mal au cœur de manger à côté de vous " et elles aussi, elles ne mangent pas… Le soir, quand ma fille rentre c’est la fête chaque soir.

Mon petit dernier, mon fils qui a 5 ans vient souvent dans mon lit le soir et me dit: "maman raconte-moi une histoire", et je commence, je lui lis une sourate, d’autres livres aussi. Je lui demande s’il veut que je lui lise un peu de Coran. Il dit oui. Alors je lui raconte la sourate. Après je lui dis et il répète par cœur. Il est fier, il dit qu’il sait parler arabe.

Vous parlez arabe à vos enfants ? Moi, ma mère d’origine espagnole n’a jamais parlé espagnol à la maison.

Des fois j’entends des femmes qui disent que le maître exige qu’on parle français à la maison. Je me dis : encore il faut leur enlever ça ? Mes enfants ils font très bien la différence entre la Tunisie et la France. Il faut vivre avec les 2 cultures, mes enfants, il faut qu’ils soient bien là où ils vivent, ils font du sport, de la musique. Je fais tout pour qu’ils ne se sentent pas différents, ils ont déjà la couleur…

Rentrez-vous souvent au pays ? Qu’est-ce que cela représente pour vous ? Emmenez-vous vos enfants ?

J’essaie de rentrer au pays tous les ans, des fois même deux fois par an. C’est très important parce qu’on revient plus fort, on dirait.

L’été, mes filles partent, moi je reste, je ne veux pas rentrer l’été parce que l’été ce sont les mariages, et moi j'ai pas envie. Beaucoup de femmes disent: on rentre pour les fêtes, c’est bien. Mais moi je rentre pour voir mes parents, pour discuter avec eux, manger avec eux. Pour mes filles, c’est important d’aller voir leurs grands parents. Ma grande parle bien arabe, la deuxième un peu moins et la troisième, malheureusement encore moins. Je suis seule à parler arabe à la maison. Ma mère a 63 ans, elle est coquette, elle aime que je lui apporte des chaussures françaises, elle met toujours le voile, un taxi l’attend pour aller au bain, chez ses frères et ses sœurs et c’est tout. Il n’y a pas un endroit où elle choisit d’aller si mon père n’est pas d’accord. Maintenant qu’elle a pris de l’âge, de la confiance, ses enfants ont réussi, elle tient le voile sous le menton et pas sous les yeux. Elle sait écrire, elle fait ses prières, elle lit le Coran. Mon père travaille, il a un louage, il va dans toute la Tunisie, il rentre le soir, mais ça n'nous dérange pas. Ma mère est toujours là et il y a aussi mes grands-parents, les oncles, les tantes, c’est ça aussi qui nous sécurise même si mon père n’est pas là. Et puis je sais qu’ils s’intéressent beaucoup à notre scolarité.

Ma mère a eu 9 enfants, 4 filles et 5 garçons. Le 5 eme garçon n’a pas eu le bac, ma mère l’a mal vécu, la pauvre. Mon frère, on l’a mis dans une école privée, ça n’a rien donné. Maintenant, il a pris le louage de mon père, mais il n’a pas eu le bac. Mais pour ma mère, du moment que les filles ont réussi, les autres ce sont des garçons, ça ne fait rien. Elle m’a toujours dit: il faut que tu aies un diplôme, tu le mets dans un cadre, même si tu ne travailles pas ça ne fait rien, peut-être un jour, tu vas changer d’avis. Quand je suis venue en France, ma mère m’a dit, il faut que tu travailles; elle veut que l’on ait notre voiture. Ma mère, elle est très ouverte, très attentive si je l’appelle. Je l’appelle tous les dimanches et si je le lui parle d’un contrôle à une date, la veille, elle me rappelle… Elle était consentante pour rester à la maison, mais est-ce vraiment ce qu’elle voulait ? Après, avec ses filles, elle vit.

Elle n’est jamais venue en France. Mon père, mes sœurs, mes frères sont venus me voir, mais pas ma mère, car tant qu’elle a une fille qui n’est pas mariée, à la maison, elle reste avec elle, même si cette fille est étudiante et une partie du temps au Canada. Il faut qu’elle ne quitte pas le foyer.

C’est vrai que si j’étais restée là-bas, il y a des choses que je n’aurais pas pu faire. Quand je rentre, je ne raconte pas toutes mes activités, ni celles de mes enfants. Il y a une pression familiale, comme par exemple construire une maison, avoir de l’or; des fois on ne veut pas. Moi, j’n'ai pas de maison, ma mère me dit : il y a 20 ans que tu es là-bas et tu n’as pas encore de maison ?

Les femmes parlent souvent de rentrer au pays, mais elles disent aussi que là-bas, elles se sentent immigrées. Elles parlent des difficultés familiales. Beaucoup ont des désaccords avec leur mari et certaines divorcent. Il y a aussi que l’homme revient à la maison avec le chômage et ils ne se supportent plus. Les femmes se disent: comment ça se fait que mes enfants ne réussissent pas à l’école, leur père est là, mais il ne fait pas attention à eux. Il n’y a que moi qui le fais. Les femmes disent aussi: "là-bas, je vais chez ma mère, chez ma sœur ou ma tante et je parle, après je rentre, je suis bien". Ici, où tu vas, chez une voisine? Qui après, va parler de toi en disant "elle fait ça et ça". Tu ne vas pas oser parler et tu vas encaisser,… jusqu’à quand ?

Quand les hommes n’étaient pas à la maison, comment les femmes vivaient la situation ?

Les femmes disent qu’au début, les choses se sont bien passées, elles prenaient bien soin de tout, faire les papiers et tout, elles se sentaient comme les femmes françaises: moi aussi je vais à l’extérieur, je sais faire, je me fais confiance. Bien, mais jusqu’où ?

Il y a des fois où des filles disent : je ne veux pas un mari comme le tien. Est-ce qu’elles savent tout ? Nos filles sont nées ici, elles n’ont pas été déchirées. Elles ne connaissent pas tout, elles ne peuvent pas comparer.

Et nous, quand nous les voyons sortir et que c’est bien vu par les frères, on est gêné; on se dit : "comment? son frère ne dit rien?" Il ne se conduit pas comme un homme arabe, et c’est bien comme cela, peut-être ?

Il faut réfléchir. Il faut arriver à ce que l’homme participe, l’associer à ce que l’on fait.

Les femmes quand on les interroge sur leurs goûts, leurs centres d’intérêt, leurs loisirs c’est quoi ? Faire des choses pour leur mari, les enfants. Ca ne leur vient pas à l’idée de faire un tour dehors, avec une copine, pour le plaisir. Ce n'est pas qu’elles ne veulent pas mettre le nez dehors, mais elles n’y pensent même pas. Pourquoi toujours penser aux enfants, au mari, au pays et pas à soi ?

Et vous, vous pensez à vous ?

Mon mari, quand on sort pour acheter des choses et que je regarde les prix, et que je pense aux enfants, il me dit : "tu achètes, tu vas le regretter un jour." Nous les femmes, on est comme ça.

Je me dis des fois, ce n'est peut-être pas par hasard que j’ai monté cette association parce que j’ai vécu dans une famille traditionnelle: la femme au foyer, le mari dehors, et à travers ce que j’ai réussi à l’Association, c’était peut-être une façon de dire non à ce que j’ai vécu.

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