Les armoiries de la ville ASSOCIATION POUR L'HISTOIRE ET LE PATRIMOINE SEYNOIS


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Les origines du sport à La Seyne-sur-Mer (1860-1914).1

LE Stade velodrome a La Seyne Sur mer

Par Jean-Claude GAUGAIN.

 

 

Le Toulonnais du 9 juillet 1861, rendant compte des régates de la fête patronale de La Seyne, écrit :

" Il faut espérer que la commune de La Seyne qui entre journellement dans la voie du progrès offrira des prix plus positifs que les écharpes, qu'on ne trouve plus que dans les villages les plus reculés des Basses-Alpes."

Cette phrase marque, modestement, la rupture entre les jeux d'exercice traditionnels repérables lors des fêtes patronales et les sports dits modernes. Cela au moment où La Seyne entre dans la modernité industrielle avec la construction des navires en acier et à vapeur. Cette entrée dans la modernité sportive se fait aussi à la même période à Saint-Tropez et à Toulon avec les sociétés de régates et à Hyères avec la société et les courses hippiques.
Les premiers promoteurs et acteurs de ces loisirs d'un type nouveau ont été les gens de la mer (Marine impériale et capitaines marchands tropéziens) et les aristocrates hyérois.

Le demi-siècle qui précède la Grande Guerre voit la coexistence de trois grands ensembles d'exercices physiques plus ou moins mis en spectacles : les jeux et affrontements traditionnels (boules, paume, lutte, etc.), les activités conscriptives (gymnastique, tir), plus patriotiques que réellement sportives, et les sports dits modernes, dérivant des progrès techniques (cyclisme par exemple) ou d'origine anglo-saxonne (football, rugby, etc.). L'autre nouveauté est l'apparition d'une nouvelle génération d'associations parmi lesquelles figure le club sportif.

 

A. Les jeux et affrontements traditionnels.

Les exercices physiques sont très anciens, variés, popularisés. Ils se pratiquaient sur les lieux ordinaires des activités quotidiennes et s'inscrivaient dans le calendrier festif traditionnel et dans la toponymie urbaine. Par exemple, La Seyne avait au XVIIIe sa rue du Jeu de ballon (rue de Messine). Plus que dans la plupart des autres communes varoises, la fête locale seynoise, qui se déroulait la première semaine de juillet, intégrait un grand nombre de concours dont la plupart étaient à caractère "sportif" : courses d'animaux, courses pédestres, sauts, régates à l'aviron et à la voile, tir à la cible, boules, jeu de paume, jeu de ballon, auxquels il faut ajouter les concours de danse (danses de caractère, valse), les jeux nautiques (targue, jeu de bigue, courses à la nage avec lâcher de canards et plus rarement de cochons) et enfin les affrontements plus ou moins codifiés, comme l'escrime qui restait alors encore largement un entraînement au duel, la boxe française et la lutte. Cette dernière passait pour une spécialité provençale et l'ouest littoral varois, de La Seyne à Hyères, fournissait beaucoup de lutteurs, la plupart d'origine italienne. Par exemple, Cardi dit Coconet.

La Seyne était également célèbre pour ses joueurs de paume et de ballon. Là aussi, les Italiens jouaient les premiers rôles. Ce fut le cas dans les années 1880 du " grand Estienne " qui remportait tous les concours auxquels il participait dans la région. Mais à partir du début des années 1890 jusque vers 1905, avec la montée du nationalisme (boulangisme et poussée xénophobe au moment de l'affaire Dreyfus), des communes interdirent aux étrangers la participation aux concours des fêtes locales et de la fête nationale. " Le grand Estienne " fut écarté des fêtes du Beausset en 1891… mais reçut une médaille commémorative pour ses exploits passés.
La joute du 14 juillet à Toulon fut réservée de 1900 environ à 1914 aux nationaux, donc interdite aux pêcheurs italiens de la section de Saint-Mandrier.
En 1894, la victoire au jeu de ballon d'une équipe d'Italiens de La Seyne à Brignoles fut contestée par un joueur de Cabasse qui réclamait leur exclusion des fêtes. Je n'ai pas relevé de traces de cette crispation identitaire dans ces circonstances à La Seyne même. Elle n'a d'ailleurs pas concerné toutes les pratiques sportives.

Cela montre que la fête locale était très sensible au contexte politique et social. On en a encore la confirmation avec la réduction de la partie religieuse, mais aussi avec la participation de femmes et de jeunes filles à certains exercices : ré gates à la voile et à l'aviron à Saint-Mandrier et à Tamaris en 1892 et en 1900 et aux courses cyclistes en 1893 et 1894 aux Sablettes. A cette époque, la presse varoise rendit compte de manifestations féministes lointaines.

B. La gymnastique patriotique.

La gymnastique ne devint matière d'enseignement à Toulon et à Draguignan qu'à la fin du Second Empire avec le décret du 3 février 1869 de Victor Duruy. Il convient de préciser qu'elle était enseignée par des militaires et que les autorités insistaient sur le maniement du fusil et " l'école du soldat ". Donc, la " militarisation " de la gymnastique a précédé Sedan.
Cet enseignement à La Seyne ne commence que lorsque Jules Ferry fait voter la loi du 27 janvier 1882 rendant obligatoire la gymnastique et les exercices militaires, y compris dans les écoles élémentaires. C'est une gymnastique patriotique et disciplinaire qui se développe dans le contexte de la République laïque et du thème de la Revanche. Cette oeuvre est complétée par le décret ministériel du 6 juillet 1882 qui organise les bataillons scolaires dans les écoles.
Comme une trentaine au moins de communes varoises, La Seyne eut le sien, avec pour instructeur Alexis Porre, instituteur et futur conseiller général radical-socialiste.

C'est dans ce contexte de Revanche et de " régénération de la race " que naissent et se développent les sociétés de gymnastique dont le but est de préparer les jeunes gens au service militaire. Donc les finalités conscriptives, patriotiques, mais aussi hygiéniques, sont fortement affirmées. Dans le Var, elles naissent tardivement, à partir de 1883 et surtout dans les villes qui possèdent une garnison (Draguignan, La Seyne et Toulon).
Avant 1914, La Seyne voit naître quatre sociétés de gymnastique : les Disciples de Denfert-Rochereau (1886), les Sans Peur (1897), l'Aurore (1905) et l'Avant-Garde (1907). Il y eut aussi une société de tir, la Société mixte du 113e territorial dont le président fondateur fut Pétin, membre de la section locale de la Ligue de la Patrie française et futur député-maire. Les Disciples de Denfert-Rochereau eurent comme présidents d'honneur le général Boulanger, ministre de la Guerre et le conseiller général Cyrus Hugues. Les Sans Peur groupaient de jeunes ouvriers des chantiers navals. Seule l'Aurore survivra entre les deux guerres.

Ce qui caractérise la gymnastique seynoise, c'est la fragilité et le fonctionnement intermittent et chaotique de ses sociétés, engluées dans les querelles politiques locales. Lors des deux fêtes fédérales de gymnastique qui ont eu lieu dans le département, en 1893 et en 1905, la ville de La Seyne n'était pas représentée, aucune société locale n'étant en état de fonctionner.
Faut-il mettre en parallèle leurs difficultés de recrutement et de fonctionnement et la sensibilité antimilitariste et anarcho-syndicaliste d'une partie de la jeunesse ouvrière seynoise ? Enfin, une dernière précision : ces sociétés de gymnastique et de tir étaient fermées aux étrangers, c'est-à-dire ici aux nombreux Italiens qui avaient gardé leur nationalité et dont la patrie d'origine était membre de la Triplice. Elles étaient au service du " relèvement patriotique " et de la " régénération de la race ".

C. Les sports modernes.

Disons schématiquement qu'ils se différencient des jeux d'exercices traditionnels (boules, paume, ballon, targue, etc.) par un certain nombre de caractéristiques. Ils se pratiquent dans le cadre d'associations en général fédéralisées, dont le rôle est de réglementer les compétitions et d'établir un calendrier qui se détache progressivement du calendrier festif traditionnel (fête patronale, fête nationale).

La Seyne a vu naître de 1880 à 1914 au moins 32 associations sportives repérables dans les documents officiels, pour celles qui ont eu une existence légale, et dans la presse pour les autres qui relèvent d'une sociabilité intermédiaire entre celle qui est " informelle " et celle qui est " officialisée ". Ces sociétés se répartissaient de la manière suivante :
Jeux "sportivisés" (boules, targue) : 6
Yachting 2
Sociétés conscriptives (gymnastique, tir) : 5
Cyclisme 8
Sports athlétiques anglais (football, rugby) : 7
Divers (escrime, boxe, skating) : 4

Huit d'entre elles, c'est-à-dire le quart, ont été formées avant le vote de la loi du 1 juillet 1901 accordant une large liberté aux associations non congréganistes. Donc, le véritable essor de cette forme de sociabilité commence après le vote de cette loi qui n'impose plus l'autorisation et la déclaration préalables (article 2) que pour les sociétés qui veulent jouir de la capacité juridique (article 5). Cette loi donne donc un grand espace de liberté aux sociétés sportives par exemple. L'essor de la pratique sportive est également à mettre en relation avec le processus de " sportivisation " de certains jeux, à la diffusion de la bicyclette et à l'irruption des sports collectifs d'origine anglaise. La naissance de la presse sportive varoise à partir de 1905 a joué aussi un rôle d'accélérateur dans la formation des clubs sportifs.

La " sportivisation " (ou " sportisation ") des jeux est leur processus de transformation en sports par la constitution d'associations et de fédérations et leur codification de plus en plus précise dans le cadre de compétitions s'insérant dans un calendrier spécifique.

La plus ancienne société de boules est celle des Boulomanes seynois, autorisée par la préfecture le 7 août 1899. Elle groupait des ouvriers et des employés des chantiers navals et de l'arsenal maritime de Toulon et était présidée par l'instituteur Edouard Aillaud qui jouera un rôle important dans la création de la Fédération varoise des boulomanes. Elle sera refondée le 24 avril 1912 dans un café de la place des Esplageolles

Le vélocipède à pédales et à freins fait son apparition dans le Var en 1868 et les premières courses ont lieu la même année. La bicyclette finit par s'imposer au détriment des autres cycles dans les années 1890. A La Seyne, elle se diffuse surtout à partir de 1893, année qui voit naître le premier club seynois, le Vélo-club dont les 36 membres fondateurs ne possédaient pas tous une bicyclette. Il apparaît pour la première fois dans la presse en juillet à l'occasion de la fête locale. Les sociétaires remisaient leurs machines au restaurant Roubaud, quai Regonflé. Le club disparut vite, après avoir fêté la venue de l'escadre russe. Cinq ans plus tard, naîtra un club solide et durable, le Vélo-sport, autorisé le 17 août 1898, et dirigé au départ par un chaudronnier, un employé et un étudiant en pharmacie. Il deviendra un des meilleurs clubs cyclistes de la région, en grande partie grâce à ses champions italiens : Zanolo, Léon Caprino, Pastorello, Henri Calizzano, Antoine Conte, originaire de Limone, Joseph Satragni, etc. Jusqu'en 1906, comme ce fut le cas à la même époque pour la plupart des clubs pionniers, son fonctionnement fut difficile. Il prit réellement son essor à partir de cette date grâce aux présidences de Pignol (1906-1909), Moquet (1909-1919), puis Marc Manavella qui dirigera 230 sociétaires en janvier 1922. A partir de 1909, le Vélo-sport organise en septembre la course La Seyne-Aubagne et retour (95 km). En 1910, Léon Caprino participe au Tour de France des indépendants. Il a eu une très longue carrière, entamée à 17 ans, en 1902, et terminée à la fin des années vingt après trois interruptions (service militaire, guerre, opération chirurgicale)

La Seyne a, comme Toulon, été d'abord une ville de rugby. Le football-association n'y a joué pendant longtemps qu'un rôle secondaire. Après une tentative avortée à Hyères en 1899, le rugby varois a commencé réellement son existence à La Seyne grâce à Victor Marquet, Victor Marquet " ingénieur " aux chantiers, qui fonde l'Union sportive seynoise (USS) au cours de l'année 1901 et dont les statuts sont déclarés et approuvés le 21 janvier 1902. Marquet était un ancien élève du lycée Lakanal de Sceaux et un des animateurs du club du lycée qui participa à la fondation de l'Union des sociétés françaises des sports athlétiques (USFSA) qui gérait le sport amateur. Il arriva à La Seyne en 1899 après son service militaire dans l'artillerie à Toulon. Il réussit à rassembler des joueurs qui habitaient la vieille ville et des soldats de l'infanterie coloniale. Le recrutement mêlait la petite bourgeoisie, le monde des employés et de l'élite ouvrière, des fils d'officiers mariniers, des étudiants ainsi que des coloniaux. C'était avant tout la manifestation d'une sociabilité de voisinage. Parmi les premiers joueurs, on remarque les cyclistes Pastorello et Zanolo, déjà cités. On reconnaît aussi Victor Crispin, le futur maire SFIO de Six-Fours et Jean Marquet qui ira faire en Indochine une double carrière d'administrateur des Douanes et d'écrivain " colonial ". Les premiers matchs eurent lieu à la Gatonne sur un terrain de manoeuvres de l'infanterie coloniale. De 1902 à 1907, l'USS dispute le championnat du comité du Littoral (Bouches-du-Rhône, arrondissement de Toulon) contre l'Etoile sportive toulonnaise (EST), que Victor Marquet rejoindra, et les principaux clubs marseillais, dont l'OM qui, à ses débuts, pratiquait les deux variantes du football : le rugby et l'association. En mai 1907, l'USS et l'EST fusionnent pour former le Club varois. Un an plus tard, il laisse la place au Rugby club toulonnais (RCT) considérablement renforcé par les meilleurs joueurs militaires (marins et télégraphistes des régiments coloniaux).

Avant la dissolution de l'USS, naît en novembre 1906, l'Olympique seynois, club multisports (rugby, cyclisme, water-polo, cross-country) qui recrute aussi à l'Ecole primaire supérieure de la ville. Parmi les sociétaires, on reconnaît Zanolo et Cresp, marchand de cycles et futur conseiller municipal communiste.

Les autres sports n'ont guère connu d'audience avant la Grande Guerre. L'escrime, encore largement mondain et militaire a donné naissance au Fleuret seynois, société éphémère. La boxe anglaise ne commence à être connue que grâce à des directeurs de salles de spectacles, à des gymnastes militaires passés par l'Ecole de Joinville, et à des directeurs de salles de culture physique. Le skating n'est à la veille de la guerre qu'une mode passagère.

En conclusion, les débuts du sport à La Seyne se caractérisent par quelques faits majeurs :

D'abord, un démarrage lent et difficile du mouvement associatif, mais à la veille de la Grande Guerre, on peut considérer que La Seyne est une ville " sportive " dont les clubs luttent à armes égales avec les clubs toulonnais, hyérois et même marseillais, en particulier en rugby et en cyclisme.

Le terreau social était potentiellement riche avec les milliers d'ouvriers et d'employés des chantiers et, il ne faut pas les oublier, les travailleurs de l'arsenal maritime, les élèves de l'Ecole primaire supérieure, les matelots et les fantassins de la Coloniale. Cependant, le départ des troupes coloniales fut responsable du tarissement du recrutement des clubs de rugby. Assez vite, l'amalgame se fit au sein des clubs qui accomplirent un certain brassage et contribuèrent à l'intégration des nouveaux venus, en particulier les Italiens et les Corses. La Seyne connut peu le sport identitaire. Pourtant, il y eut des cercles, des chambrées, des sociétés de secours mutuel et des musiques uniquement italiennes par exemple, et une sensibilité bonapartiste marquée dans la communauté corse. En mars 1913, les sociétés italiennes seynoises se fédérèrent avec la plupart des autres sociétés locales, dont une société de gymnastique.

Enfin, le sport seynois doit beaucoup aux Italiens. Beaucoup plus qu'à Toulon et à Hyères par exemple. Leur présence est très visible au jeu de paume, au jeu de ballon, à la targue (à Saint-Mandrier), à la lutte, mais aussi au rugby et surtout au cyclisme. Pour certains d'entre eux, il a été un facteur de promotion sociale : ce fut le cas de Zanolo qui, après une carrière d'athlète, de cycliste et de rugbyman, est devenu marchand de cycles.

Sources
: Archives départementales du Var (surtout série M). Archives municipales de La Seyne (délibérations du Conseil municipal). Renseignements fournis par M. A. Sias, "mémoire" de l'Union sportive seynoise.

Presse : Le Toulonnais, Le Petit Var, Le Midi, Le Journal du Var, Le Var sportif, La Vie sportive.

Documents officiels : Journal officiel, Recueil des actes administratifs de la Préfecture.

ANNEXE.


ALLEZ LA SEYNE…



C'était en mil neuf cent, et la ville n'avait
Qu'alors pour se distraire et s'amuser un peu
Gymnastique en sous-sol, puis la fête du Mai.
Seynois lisez ces lignes, vous allez être heureux.


Victor Marquet, sportif d'un grand club parisien
Fait connaître au canton sa passion du rugby,
Et vite encouragé par tous les gars du coin,
Nous en sommes très fiers car tout commence ici.


Le champ de La Gatonne des premières manoeuvres,
La venue de l'OM, pour ouvrir la maison
Et l'envie de bien faire et de tout mettre en oeuvre
Afin de faire aimer ce drôle de ballon.


Victor le précurseur a bien communiqué
Car des gars du chantier ont poursuivi l'affaire
En créant à Toulon il faut que vous sachiez
D'autres associations. On n'est plus seuls sur terre.


L'affaire est donc lancée, rien ne va l'arrêter.
Et d'Antoine Crispin passant à Pégulu,
L'ovale arrive dans les mains de Barbier
Qui la remet à Sias, enfin à Bibicu.


Aujourd'hui notre sport a bien évolué,
Ses règles, son esprit, sa nature primaire
Ont laissé place hélas, au résultat premier.
Mais au diable tout ça, nous sommes centenaires.

Henri GIOVANNETTI

Les deux images ( Victor Marquet et l' affiche du match du 9 Mars 1902)
sont tirés de l'ouvrage
"Un Dimanche à la Muraillette"
De Henri Giovanetti et Jean Marc Giraudo


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